Critique de Denis Sanglard –
Le roi est mort vive le roi. Ainsi donc Titus ne pourra épouser Bérénice. On peut ainsi résumer cette tragédie racinienne. Tragédie du rien puisque d’emblée tout est joué. Racine élimine tout ce qui pourrait faire obstacle au simple sujet de son œuvre, la passion amoureuse sacrifiée au politique. En s’emparant de cette œuvre emblématique de la tragédie classique française Gwenaël Morin souhaite « lire Bérénice comme une tragédie de la parole ».
© Pierre Grosbois
Vaste programme, plutôt étrange par sa redondance puisque par définition la tragédie classique française n’est que parole proférée. Ce qui la caractérise est justement ça. Il n’y a pas dans la tragédie racinienne autre chose. Poème lyrique, la parole circule et avec elle les passions et leurs enjeux. La construction dramatique et sa force ne tient que par cette circulation. Pour exemple la scène entre Phèdre et Hyppolite est peut être la plus emblématique de cette problématique racinienne. Et portée à son incandescence dans Bérénice. Où le propos est mis à nu, dépouillé de tout artifice dramaturgique pour libérer le verbe.
Bérénice d’à (peu) près Bérénice
Ici, dans cette mise en scène, la parole est asthmatique. Il y a grande confusion entre le souffle tragique et l’essoufflement. Cela tient du pénible hoquet. Nos personnages n’ont guère la portée qui sied aux puissants, le charisme ou la présence qui sied aux tragédiens.
© Pierre Grosbois
Manque d’envergure et de puissance renforcée en cela par une gestuelle inepte, plaquée, qui vire très vite au ridicule, des déplacements aléatoires, répétitifs, confus et inutiles dans un décors indigent, pédagogique, qui contrairement aux intentions ne dénonce en rien « la nécessité et l’urgence de la parole à entendre ». Cette absence volontaire des artifices dramaturgiques qui devait, dixit le metteur en scène, « donner une légitimité à la parole » ne fait que renforcer son incapacité à s’en saisir pleinement. Les comédiens eux-même semblent en roue libre. Leur engagement sincère ne suffit en rien à masquer l’incohérence et le vide des propositions dramaturgiques. Quelques gags sont parsemés ici et là et tombent à plat avant que d’agacer par leur inutile répétition. Une volonté de distanciation sans doute. Ce n’est pas être réactionnaire que de dénoncer cela. Mais vouloir faire table rase ne suffit pas à faire une mise en scène. Bouleverser les codes dramaturgiques demande une certaine cohérence. Interroger une œuvre emblématique est certes légitime. Nombre de metteurs en scène s’y sont essayé. Mais pour ce faire il faut avoir l’intelligence et les moyens de ses ambitions. Ici tout est pauvre, petit, gratuit, vain et surtout vaniteux… « Esthétique du provisoire » ne veut pas dire misère.
Bérénice d’après Bérénice
De : Racine (ou d’après Racine ?)
Mise en scène : Gwenaël Morin
Avec : Julien Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Ulysse Pujo
Régie : Manuella MangaloDu 2 au 21 novembre 2010
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75 011 Paris
www.theatre-bastille.com