Critiques // Critique • « Asalto al agua transparente » de Luisa Pardo et Gabino Rodriguez / Festival d’Automne

Critique • « Asalto al agua transparente » de Luisa Pardo et Gabino Rodriguez / Festival d’Automne

Oct 15, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Asalto al agua transparente » de Luisa Pardo et Gabino Rodriguez / Festival d’Automne

Critique de Anne-Marie Watelet

En partenariat avec le festival d’Automne à Paris et dans le cadre de l’année France-Mexique, on a pu voir la compagnie Lagartijas tiradas al sol – deux représentations, les 11 et 12 octobre – au Théatre des Arts à Cergy (Yvelines), avant d’être programmée à la Ferme du Buisson.

Écriture, mise en scène et interprétation, Luisa Pardo et Gabino Rodriguez assurent tout.
Ils n’ont pas trente ans ; ont fondé un collectif – « Lagartijas tiradas al sol » (lézards allongés au soleil) en 2003, après des études au Centre Universitaire de Théatre à Mexico. En quête de formes théâtrales personnelles, ils créent leurs propres projets, se libérant ainsi des enseignements académiques.
« Asalto al agua transparente », l’une des trois créations récentes, parle aussi des réalités de leur pays : « Les inquiétudes qui s’expriment dans ces spectacles se situent à la croisée de l’histoire et de la politique » (1). Aujourd’hui les Mexicains, dont les révolutions communistes ont été matées, se résignent au système capitaliste afin d’éviter une nouvelle « tragédie ». Et de connaitre des paradoxes similaires aux nôtres.
L’eau – el agua – circule dans ce texte comme enjeu paradoxal, des origines de Mexico à nos jours.

© DR

Ils sont deux sur scène ; trois fils narratifs : la fondation de la ville avec sa mythologie ; l’eau et les cinq lacs ; celui plus contemporain de Janet en quête d’une place à l’université, en vain, et sa rencontre avec Ixca. Le ressort dramatique : des faits, des dates, des statistiques relevés avec la minutie et la rigueur d’un documentaire que ne démentent pas l’intonation et la voix des comédiens : froide et claire, adaptée à une réalité brute. Aucun artifice dans leur jeu ni illusion théâtrale conventionnelle. Il s’agit ainsi de privilégier une résonnance collective ; ces voix sont « le cri d’une jeunesse désenchantée ». L’empire aztèque, l’arrivée de Cortez, les grandes inondations, les tentatives des siècles durant pour assécher les lacs… Tout est là. Et Mexico si décevante pour ces jeunes portant au plus profond l’amour de leur terre. Janet crie de tout son coeur aride « je ne vois plus mon chemin ».

La force de Pardo et de Rodriguez est de faire surgir des émotions à travers la neutralité des voix et du jeu.
La jolie comédienne a de l’assurance mais joue avec retenue ; son regard droit, sa voix aux tonalités variées montrent l’unité qu’ils ont réussi à introduire entre forme et fond. Lui, Gabino Rodriguez, à l’aise dans sa gestuelle, sa démarche, montre déjà une réelle présence. On le sent habité par les réalités qu’il évoque en même temps que par le personnage perspicace de Ixca. Le cri plaintif de Janet se confond avec la voix d’une chanteuse populaire et nous glace ; les ruptures de ton et de rythme dans les voix évitent la lassitude du discours « documentaire », passionnant d’ailleurs. La distanciation, un procédé fréquent, a dans ce travail de mise en scène quelque chose d’étonnant tant elle est personnelle. Ce qui est sûr, c’est que ça marche. Les accessoires, la scénographie sont volontairement simples : des cageots de bois judicieusement utilisés, des détritus et des bouteilles en plastiques – vides bien sûr, pauvre symbole ! Et de l’eau. Eux sont habillés comme n’importe quels jeunes, amérindiens, américains ou européens: mondialisation oblige ! La musique et les chants magnifiques donnent la couleur locale et sont parfaitement adaptés aux différents moments narratifs.

C’est un appel original que lancent Pardo et Rodriguez : prendre position de façon positive et active sur nos valeurs et nos manières de vivre au sein d’économies de marché, dans des villes déshumanisées. Ils nous rappellent aussi que la mémoire collective historique est vitale pour abreuver la réflexion. « Notre pratique scénique est conçue comme une action destinée à fomenter un changement social » déclarent-ils (1).
Sincères et pleins d’enthousiasme pour le théâtre dit engagé, avec peu de moyens, on a envie de les encourager dans cette voie. En espérant qu’ils pourront garder leur indépendance vis à vis de l’état dans leur pays !


  1. Propos recueillis et traduits par Christilla Vasserot

Asalto al agua transparente
– Espagnol surtitré –
Création de
: Lagartijas tiradas al sol
Texte, mise en scène et interprétation
: Luisa Pardo et Gabino Rodriguez
Images
: Juan Leduc
Directeur technique
: Francisco Barreiro
Assistante
: Mariana Villegas

Les 11 et 12 octobre 2011
Dans le cadre du
Festival d’Automne à Paris

L’Apostrophe – Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise
Théatre des Arts

Place des Arts, 95 000 Cergy
RER A Cergy-Préfecture – Réservations 01 34 20 14 14
www.lapostrophe.net

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