© Sanne Peper
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Ils s’y sont mis à deux. Deux compagnies aussi décapantes l’une que l’autre, l’une Belge, l’autre néerlandaise : tg STAN et Dood Paard. Ce n’est pas la première fois qu’elles collaborent et pour le meilleur. Souvenons-nous d’Onomatopée, dans ce même Théâtre de la Bastille, qui avait laissé le public dubitatif, pantois et hilare. Avec cette même propension, ce même talent à faire un pas de côté dans le traitement des œuvres qu’ils abordent entre théâtralité dénoncée avec jubilation, adresse aux spectateurs, glissement et oscillation, confusion savamment distillée entre réalité et fiction. En choisissant Art de Yasmina Reza nos trois complices présents sur le plateau dynamitent encore une fois les codes théâtraux, avec l’agrément de l’auteur, et font de cette pièce faussement bourgeoise, vrai-faux boulevard, un jeu de massacre hautement jubilatoire. Faisant fi de toute scénographie, débarquant en urgence sur le plateau nu avec le décor sur une remorque, chariot de Thespis contemporain, installant le décor au fur et à mesure, genre bric-à-brac dont au final ils ne serviront guère, ou si peu, se contentant d’une bâche bleue pour tout espace de jeu, encadré de quatre projecteurs, un ring en somme, alléguant être en retard ils commencent sur les chapeaux de roue. Un rythme qui ne faiblira pas. Et sur ce tableau blanc sur fond blanc acheté par Serge pour 20 briques, défini comme une « merde blanche » par Marc, va se cristalliser les failles d’une amitié de trente ans. Une amitié qui explose avec fracas devant Yvan, dépassé, coincé entre ces deux-là, accusé de lâcheté et de complaisance par les deux belligérants pour une fois, la dernière, d’accord. Car ce qu’ils révèlent, outre une interrogation sur l’art contemporain, sa valeur et sa nécessité, c’est toute la cruauté et la noirceur de cette pièce, sa violence intrinsèque. Le verbe y est corrosif et assassin et c’est avec un sacré allant que les trois comédiens s’envoient à la figure les pires atrocités. De cette amitié il ne restera rien, de ce combat les trois seront chaos debout. Et ce qui encore une fois importe chez tg STAN et Dood Parts c’est la complexité des relations humaines, les contradictions et les fragilités dans nos rapports, fussent-ils d’amitié. Ce tableau blanc interroge l’art contemporain, mais c’est également un faux-nez. En débarrassant sèchement la pièce de toute référence bourgeoise, en accusant crânement le vaudeville, la pièce et sa mécanique sont mises à nue, il ne reste que le texte et son propos à vif. La langue acide et les enjeux de pouvoir. C’est le propre de ces deux compagnies de décrasser le répertoire auquel il s’attaque, l’expurger de tout contexte, pour n’en garder que le suc dont ils font leur miel. En faire une matière vivante, mouvante, malléable, se façonnant sous nos yeux. Tout cela est fort drôle et le jeu complice et narquois des acteurs, voire leur dissension, au centre même du processus, y participe pour beaucoup. Avec cette façon unique, cette impression qu’ils ne jouent pas mais improvisent le texte et la scénographie au fil de la représentation, fidèle pourtant à leur partition qu’ils décortiquent avec minutie et gourmandise, n’hésitant pas non plus à s’en détacher pour dénoncer la théâtralité, à apostropher les spectateurs devenus témoins impuissants et hilares d’une dispute homérique, incarnée sans fard, débarrassée de tous superflus. Du grand art et c’est sacrement jubilatoire.
Art de Yasmina Reza
Mise en scène de tg STAN et Dood Paard
De et avec Kuno Bakker, Gillis Biesheuvel, Frank Vercruyssen
Conseil costumes An D’Huys
Régie Technique Julien Maiwald
Du 2 au 30 juin 2017 à 20h
Relâche les 4, 5, 11, 12, 18, 19 et 25 juin
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
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