Critiques // « Absinthe » de Pierre-Yves Chapalain au Théâtre de la Bastille

« Absinthe » de Pierre-Yves Chapalain au Théâtre de la Bastille

Jan 15, 2011 | Aucun commentaire sur « Absinthe » de Pierre-Yves Chapalain au Théâtre de la Bastille

Critique de Solveig Deschamps

« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau de vie »

Apollinaire

C’est carnaval. Une maison au bord de l’océan, une digue qui protège de tout débordement, une famille sans histoire : Adèle (celle qui a oublié l’histoire), Francis (écrivain, celui qui écrit des histoires), leurs deux enfants, Adrien  et Absinthe (celle qui passe par l’histoire). L’homme à  la moustache (celui qui raconte l’histoire) qui vient trouver Absinthe et lui parle d’une malédiction. Absinthe  sent alors qu’elle a les clés d’une vérité inavouée, Pythie qui va bouleverser l’ordre familial. Son frère essaye de la raisonner, sa mère s’inquiète d’autant plus qu’elle apprend qu’Absinthe est malade et doit se faire opérer, mais avec quel argent ? Constance (celle qui se souvient de l’histoire), l’amie d’Adèle, lui donne les clés en or de la digue. L’homme à la moustache revient parler à Absinthe lui dit qu’il est son vrai père et que s’il a quitté femme et enfants c’est parce qu’il ne voulait pas se raser la moustache, ce qu’il aurait dû faire suite au pari avec Francis qu’il a perdu… Francis, l’homme de la maison d’en face…
L’homme à la moustache est il le vrai père ? Francis le faux père ? Quel secret peut il y avoir dans cette famille tout à fait ordinaire, n’est ce pas plutôt une histoire qu’Absinthe se raconte ? « Je veux devenir écrivain comme pour raconter ce qui ne peut pas se dire », dit elle à Francis. Exaltation d’une jeune fille qui aimerait avoir un autre père ?  Est ce par elle que la vérité va voir le jour ?

© Elisabeth Carecchio

Parce qu’au Théâtre de la Bastille, moi je l’aime bien Pierre-Yves Chapalain

Je vais éviter les phrases toutes faites du genre : « J’ai découvert un auteur magnifique ! », « Quelle puissance d’écriture ! », « Quel bel univers !»…
N’empêche que ça fait longtemps que je ne me suis pas autant réjouie de découvrir un auteur de théâtre et qu’il faut que je  me procure rapidement le manuscrit, il est de ces livres qui doivent impérativement se trouver dans ma bibliothèque.
Je vais vous livrer les premiers mots de la pièce, c’est l’homme à la moustache qui parle à Absinthe :

« Quand ma mère était en train de calancher sur son lit de mort… elle a voulu nous dire quelque chose à mon frère jumeau et moi…En tant que garçons intelligents et précoces, elle a sans doute tenu à nous confier une chose importante, une sorte de secret… Mais elle s’est exprimée… comment dire… elle s’est exprimée dans une langue qu’on ne comprenait pas, la première qu’elle sut parler peut-être, à peine sortie du ventre comme une fuite d’eau… une sorte de langue qu’elle broyait comme du gravier dans la bouche… Mon frère et moi… on est resté sans bouger à rien comprendre. »

Pierre-Yves Chapalain a commencé à écrire en 1999 « La barre de réglisse », « Travaux », « Le rachat », « Ma maison »,  et depuis 2008 il porte lui-même à la scène ses textes.

© Elisabeth Carecchio

Du texte à la mise en scène…

C’est promis je ne vais pas dire que j’ai aussi aimé la mise en scène…
Un plateau nu, enfin presque, une grande table, table de banquet, de déballage, table sous laquelle enfant on rêve de se cacher pour entendre des secrets inavoués du genre : ton père c’est pas ton père !, table qui se déplace au fur et à mesure que l’on avance dans cette histoire familiale tragi–comique.
La lumière quitte progressivement le spectateur, se dessine sur le plateau, obscure clarté que nous offre Grégoire de Lafond qui éclaire la part d’ombre de chacun, c’est beau et simple.

La mise en scène semble guidée par la nécessité que les personnages ont d’entrer sur le plateau pour parler. Entremêlées aux scènes de l’imaginaire où la parole semble ne pouvoir jamais s’arrêter, comme si le flux allait faire jaillir une vérité, il y a  les scènes du réel qui petit à petit vont se noircir, montée dramatique qui emmènent les personnages dans une folie du non-dit ou de l’oubli qui en deviennent comiques (Adèle avec sa robe tachée de sang, c’est normal parce qu’en période de carnaval elle fait des gâteaux), étrangeté (Adrien et sa marionnette ventriloque qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau) et décalage (Constance et sa sœur qui jouent la scène de la robe tachée).
On rit et on serre les dents aussi.

© Elisabeth Carecchio

Incarnation et détachement

Incroyable sensation de voir les comédiens donner parfois l’impression de ne pas jouer, ou plus exactement de jouer mine de rien, ou même de ne rien jouer, tout en jouant. Je refuse d’écrire que je les ai trouvés formidables, Tous, oui c’est ça je les préfère Tous…
J’ai même aimé la musique, moi qui d’habitude me rebiffe un peu avec les paysages sonores, je crois que Frédéric Lagnau que j’avais rencontré il y a longtemps, longtemps à Evreux, doit être fier de vous de là où il vous regarde…
Quel bonheur ! (Tiens ! je vais l’écrire en gras).

Absinthe
Texte et mise en scène : Pierre-Yves Chapalain
Avec sur le plateau : Patrick Azam, Philippe Frécon, Perrine Guffroy, Laure Guillem, Yann Richard, Airy Routier, Catherine Vinatier, Margaret Zenou
Scénographie : Marguerite Bordat
Collaboration artistique : Yann Richard
Musique et ambiance sonore : Yann Le Hérissé, Fréderic Lagnau
Création lumière et direction technique : Grégoire de Lafond
Perruques et maquillage : Nathalie Régior
Collaboration à la ventriloquie : Michel Dejeneffe

Du 10 janvier au 11 février 2011

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75 011 Paris – Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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