© S. Brion
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Sir George Benjamin continue à séduire le public français avec son quatrième opéra, Picture a day like this, à nouveau en complicité avec le dramaturge Martin Crimp. A n’en pas douter les tonalités dramatiques et toujours en tension du compositeur sont en harmonie totale avec l’univers désenchanté de l’auteur, tous deux britanniques.
Sous la forme d’une fable contemporaine, cruelle comme le genre l’impose toujours, on retrouve toutes les obsessions de l’auteur (publié chez L’Arche en français par des traducteurs aussi divers et prestigieux que Philippe Djan ou Alice Zeniter) : libre arbitre, rapports de domination entre hommes et femmes, désirs et fantasmes refoulés, introspections violentes, cruauté des apparences sociales, intranquillité, vanités…
Comme les variations en douze et dix-sept scènes de When we have sufficiently tortured each other et de Attempts on her life Martin Crimp fonctionne dans Picture a day like this avec une pensée sérielle resserrée en quatre tableaux. La quête désespérée de ce que peut être le bonheur, aussi vaine que In the Republic of Happiness paru dix ans avant la création de cet opéra au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2023 et qui revient à la salle Favart dans le cadre du Festival d’Automne, avec pour seul changement l’Orchestre Philharmonique de Radio France dans la fosse.
Un seul acte qui commence dans un silence précieux non précédé par l’arrivée en fanfare usuelle du chef d’orchestre, qui en l’occurrence n’est autre que le compositeur lui-même, lequel comme à son habitude dirige ses oeuvres, y compris dans les versions concerts, telles que Written on skin à la Philarmonie en 2000, qui avait été jouée à l’Opéra-Comique à sa création.
De longues minutes bienvenues pour se familiariser avec un décor sombre tapissé de surfaces miroitantes et un plan un peu incliné, avant que les instruments de l’Orchestre ne se mettent en mouvement sans « souffler » jusqu’au dénouement qui laissera à chacun le choix de l’épilogue du drame de cette mère à qui le pire est arrivé.
Marianne Crebassa chante sa douleur et personnifie le supplice maternel face à la mort de son enfant. Elle est douleur. Dans les passages les plus exigeants de la partition, la mezzo-soprano française parvient à redoubler d’intensité et de volume dans les fins de phrases franchissant sans peine la fosse et perçant au cœur les spectateurs.
Elle ne descend pas aux Enfers comme Orfée. Même si cela y ressemble. Elle ne signe pas un Pacte avec le Diable comme Faust. Le Démon est intérieur. Elle, « la femme » désigne dans la première scène de « La page », « les femmes ». Les trois Parques peut-être… Elle se confronte à des morts-vivants, se drapant dans un affichage de bonheur, alors qu’ils ne sont que des âmes solitaires en souffrance. Il en est ainsi de l’artisan, puissamment interprété par le baryton John Brancy, par ailleurs très bon comédien, y compris dans le rôle glaçant du collectionneur. Les jeunes soprane Beate Mordal et contre-ténor Cameron Shahbazi forment deux duos parfaits à la fraicheur elle aussi illusoire. Autant de modèles d’un parfait anti-manuel de développement personnel enseignant simplement que les miracles comme le bonheur n’existent pas !
Il reste à souligner le travail scénographique et de mise en scène très riche et d’une fluidité impressionnante de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma qui ancrent idéalement l’œuvre dans un univers onirique et fantasmagorique, évidemment avec le fabuleux travail vidéo du plasticien Hicham Berrada faisant pousser des plantes aquatiques dans un processus évolutif et en perpétuel mouvement accompagnant la scène de Zabelle (avec l’émouvante Anna Prohaska), mais également dans les tableaux d’apparence plus simples, telle la cage en verre de l’artisan, qui semble attendre son exécution.
Après que la page du vieux grimoire de l’introduction et le jardin apparemment paradisiaque de la conclusion s’évanouissent comme des leurres, on peut voir dans le bouton scintillant obtenu de Zabelle, cette mère-miroir, serré dans la paume de « la femme », le symbole de nos petites lumières intérieures, seuls outils agissants dans les étapes nécessaires du chemin du deuil. Cette femme puissante ne pourra compter que sur elle dans sa reconstruction et elle seule en connaît le chemin. Oui, « Imagine un jour comme celui-ci »…
© S. Brion
Picture a day like this
Composition : George Benjamin
Texte : Martin Crimp
Direction musicale : George Benjamin
Mise en scène, scénographie, dramaturgie, lumière : Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma
Costumes : Marie La Rocca
Vidéo : Hicham Berrada
Assistant à la direction musicale : Marc Hajjar
Assistant à la mise en scène : Sérine Mahfoud
Assistant à la scénographie : Théo Jouffroy
Assistante aux costumes : Peggy Sturm
Assistant aux lumières : Laurent Irsuti
Chef de chant : Bretton Brown
Avec les chanteurs : Marianne Crebassa, Anna Prohaska, Beate Mordal, Cameron Shahbazi, John Brancy
Et les acteurs : Matthieu Baquey, Lisa Grandmottet, Eulalie Rambaud
Et l’Orchestre Philharmonique de Radio France
Jusqu’au 31 octobre 2024, à 20h
En anglais, surtitré en français
Durée : 1h05 (sans entracte)
Opéra-Comique
1 Pl. Boieldieu,
75002 Paris
Réservations : www.opera-comique.com
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