© Simon Gosselin
ƒ article de Denis Sanglard
1571, bataille de Lépante. La République de Venise écrase l’Empire ottoman. Victoire de la Chrétienté sur l’Islam. Commande est passée pour glorifier la bataille à Galactia, peintre, femme, qui ne voit en cette victoire qu’une boucherie, un massacre. Ce qu’elle peint n’est pas la gloire de Venise, mais les horreurs crues de la guerre, la barbarie. Sur la toile, dans l’eau rougie, ne flottent que des culs ! Le rouge sang de Galactia est un rouge qui pue. Une autre bataille s’engage alors entre les commanditaires de l’œuvre et Galactia. Entre le politique et l’art. Entre le mensonge et la vérité. Une femme engagée, enragée, en lutte contre des hommes compromis par le pouvoir. Howard Barker signe une œuvre dense, intense, nerveuse et violente par le verbe. Entre lyrisme sec et poésie acre. (Formidable traduction de Jean-Michel Desprat). Tout à la fois sont brassés le rapport de l’artiste avec le pouvoir, l’art soumis à la commande publique, le processus de création où l’intime rejoint et affronte le politique. Galactia ne fait nulle concession, nourrit sa création de sa vie affranchie des conventions et des hommes. Résiste enfin au pouvoir au risque de l’anéantissement de son travail et d’elle-même. Au risque de la récupération et de l’instrumentalisation. Howard Barker réalise un portrait de femme artiste puissante et fragile tout à la fois, ne renonçant à rien, consciente de son génie, ultime et flamboyant rempart dans l’affirmation crâne de soi et de son art, par son art, contre le mensonge du politique, fut-il commanditaire, et l’hypocrisie de ses pairs masculins. Christiane Cohendy fait montre de tout son art, de son intelligence aigüe du texte, dans ce personnage têtue, forte en gueule, passionnée à la franchise abrupte. Elle épouse les méandres et le mystère de cette femme jusque dans ses ambiguïtés. Ce n’est pas une virago furieuse mais une femme lucide, écorchée, consciente que la bataille de Lépante ouvre une autre bataille, celle de la liberté créatrice contre le pouvoir. La vérité contre le mensonge. Christiane Cohendy empoigne Galactia comme cette dernière se saisit du sujet de sa peinture, avec une urgence, un appétit féroce, une sensualité aiguisée et rompue. L’art devient un champ de bataille et c’est en guerrière armée de ses brosses et de ses pinceaux et de son verbe franc que Christiane Cohendy envahit, occupe le plateau. Elle tient cette pièce dans le creux de sa main, ne lâche rien, lui impulse son rythme. Les comédiens ne sont pas en reste dont Philippe Magnan qui donne du doge de Venise une image à rebrousse-poil de tous clichés d’autorités attendus. Et c’est tant mieux devant la faiblesse de la mise en scène, fluide mais sans vraiment de génie, par trop littérale et quelque peu mollassone. On ne s’ennuie pas, pas tout à fait, mais ça manque de fermeté et de nerf pour une pièce qui n’en manque pas. On s’accroche donc fermement aux jupes tâchées de peintures de Galactia, aux cimaises de cette toile représentée au final par une immense toile rouge que l’on foule aux pieds, pour ne pas barboter dans les eaux trop claires, si peu rougies et agitées, de cette mise en scène manquant du souffle épique de ce texte tempétueux.
Tableau d’une exécution de Howard Barker
Mise en scène de Claudia Stavisky
Avec David Ayala, Frédéric Borie, Eric Caruso, Christiane Cohendy, Anne Comte, Luc-Antoine Diquéro, Philipe Magnan, Julie Recoing, Richard Sammut
Et la voix de Didier Sandre de La Comédie Française
Texte français de Jean-Michel Desprat
Scénographie Graciela Galàn
Costumes Lili Kendaka
Lumière Franck Thévenon
Son Jean-Louis Imbert
Dessin et création graphique Stéphane Zimmerli
Maquillage et coiffure Cécile Kretschmar
Vidéo Laurent Langlois
Assistanat à la mise en scène Joséphine Chaffin
Du 10 au 28 janvier 2018 à 21h00
Dimanche 15h, relâche les lundis et le 16 janvier
Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2bis av. Franlin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations 01 44 95 98 21
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