À l'affiche, Critiques // La Mort de Danton de Georg Büchner, mise en scène de François Orsini, Théâtre de la Bastille

La Mort de Danton de Georg Büchner, mise en scène de François Orsini, Théâtre de la Bastille

Fév 20, 2017 | Commentaires fermés sur La Mort de Danton de Georg Büchner, mise en scène de François Orsini, Théâtre de la Bastille

ƒƒ article de Denis Sanglard

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© Victor Tonelli

La Mort de Danton de Büchner mise en scène par François Orsoni frappe d’emblée par son rythme particulier, son atmosphère entre chien et loup, son ton singulier. C’est un lent tsunami, une lente vague continue et irrépressible, à quelques exceptions près, sans éclat de voix, sans envolée lyrique et qui emporte inéluctablement les hommes et les idées. Des quatre actes il fait un bloc dense, resserré, concentré. Ils ne sont que cinq sur le plateau pour cette fresque volontairement dépouillée et intimiste voire austère. Et c’est ce à quoi s’attache particulièrement François Orsini, l’intime,  l’envers de la révolution par ceux qui la menèrent à leur risques et périls. Pas d’éclat donc, pas d’envolée, mais comme une longue réflexion, une discussion à bâtons rompus autour de cette longue table qui traverse de cour à jardin tout l’espace de la scène. Une table qui rassemble ou sépare. François Orsoni creuse la cervelle, convictions et contradictions, de ceux qui bientôt perdront leurs têtes au nom de leurs idéaux et des trahisons. Sans rien enlever au sujet profond de la pièce, l’engrenage de la violence, la dualité paradoxale entre le législatif et l’exécutif, et l’attentivité d’un peuple aux abois et la transgression absolue que fut la mort de louis XVI, François Orsoni met en avant l’intime, l’homme face au groupe, face à ses convictions, ses trahisons, ses désillusions. Danton est certes le pivot central, dans son épuisement idéologique, mais il est surtout le moteur d’une question centrale à savoir comment sortir de cette impasse qu’est la violence sinon de la retourner contre soi et rejoindre à son tour le néant. La mise en scène, fluide et sans à-coup abolit le temps. Il y a quelque chose d’un processus irrésistible, irrépressible et, étrange paradoxe cependant, de figé, de compact. Autour de cette table tout est condensé dans ce drame devenu une longue réflexion  qui annihile d’emblée l’espace et le temps. Cette table, souvenir des estaminets où se creusait aussi la révolution, devient le centre d’enjeu idéologique où le verbe éclatant de Büchner, auquel il faut s’habituer comme il faut s’habituer aux références nombreuses à la république romaine, accepter également ce rythme particulier, la parole devient le moteur et de la pièce et de ses enjeux. La parole comme lieu d’affrontement. Comme premier et dernier acte de cette révolution, avant la guillotine. Cette table autour de laquelle se joue la révolution et le destin de ces hommes, une révolution ainsi décentrée et portée hors de ses murs attendus, abolit les lieux et fait de cette tragédie presque lyrique un huit clos étouffant. Pas d’action, réduite à quelques éclats de voix superbes bien vite éteints dont l’écho résonne longtemps, mais une longue réflexion idéologique voir philosophique. François Orsini fait de cette pièce un débat passionnant altéré par l’urgence, la peur et la mort qui rôde où l’extérieur, le hors champs révolutionnaire est simplement porté par ses personnages inquiets et fébriles, fanatiques. La proximité immédiate du public, en bi frontal, accentue cette impression étrange et oppressante d’un tribunal révolutionnaire enclos sur lui-même où nous serions les témoins muets et impuissants de cet affrontement fratricide et mortel. Ils ne sont donc que cinq. Changeant de personnages et changeant de perruques, on s’y perd parfois un peu c’est vrai à l’exception de Danton, et jouant sans jamais se départir d’une certaine concentration, jamais en force, mais d’une conviction ferme qui évite tout éclat. Au reste ils sont loin de tout héroïsme. Dépouillés même de leurs attributs de tribuns flamboyants attendus. Ils sont formidables, tous, dans cette appréhension de la langue et des convictions défendues qui les déterminent. Et faisant de la sobriété de jeu demandé par François Orsini un atout formidable pour rendre à ces personnages figés par l’Histoire une humanité bien plus complexe. Danton lui n’est pas un personnage préromantique et François Orsini en fait un personnage plutôt rock et qui détonne parfois avec l’ensemble. Ce n’était sans doute pas nécessaire au vue de la belle austérité de sa mise en scène qui réussit à se dégager du lyrisme, parfois pesant de Büchner – la faute à la traduction d’Adamov ?-, pour mettre à nu, derrière ces discours, l’humanité de ces hommes qui bâtirent la république avant d’être dévorés par elle. Ce que dit Danton, lui qui initia les tribunaux révolutionnaires, préfigurant ainsi sa fin:  » La révolution est comme Saturne, elle dévore ses propres enfants ». C’est cette dévoration là, tragique, que François Orsini réussit à mettre en scène avec une cohérence et une sobriété exemplaire. Tous à la Bastille !

 

La Mort de Danton de Georg Büchner
Traduction de Arthur Adamov
Mise en scène de François Orsini
Avec Brice Borg, Jean-Louis Coulloc’h, Mathieu Genet, Alban Guyon, Jenna Thiam
Dramaturgie Olivia Barron
Musique Thomas Landbo, Rémi Berger
Scénographie Pierre Nouvel
Costumes Pascal Saint-André
Perruques Cécile Larue

du 16 février au 4 mars 2017 à 20h
relâche les 19, 23 et 26 février

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75011 Paris
réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

 

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