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Critique | « 7 Propos sur le septième Ange » d’après Michel Foucault au Théâtre de l’Atalante

Juin 23, 2011 | Un commentaire sur Critique | « 7 Propos sur le septième Ange » d’après Michel Foucault au Théâtre de l’Atalante

Critique d’Anne-Marie Watelet et Djalila Dechache

Carte blanche de L’Atalante au collectif Théodoros Group (nom choisi en référence à Rimbaud) !

Bruno Boulzaguet et Jean-Christophe Feldhandler viennent de monter un 2ème spectacle en clôture de la saison : « 7 Propos sur le septième Ange », tours et détours de Babel. Entreprise un peu folle, aussi difficile qu’audacieuse.

Mettre en voix et en musique des extraits de la Préface de M. Foucault, écrite à la faveur d’un certain Jean-Pierre Brisset (1837-1919) pour son ouvrage La grammaire logique. Auteur dont la plume touillait dans la marmite brûlante des mots, gendarme et grammairien de son état, dont Foucault a voulu faire reconnaître un certain génie. Une entreprise un peu folle, étant donnée l’excentricité de l’oeuvre et de son auteur, le caractère loufoque de ses écrits sur l’origine des langues dans le monde (qu’il fait tenir dans un seau !), documents scientifiques et philosophiques. Pas si fou cependant, visionnaire même, puisque l’on reconnaît ici la veine et la verve surréalistes, les expériences poétiques de l’Oulipo, et autre mouvement Dada… Inspiration peu avouée d’ailleurs, injuste destin que celui de Brisset, né trop tôt, et resté méconnu.

Une performance jubilatoire qui relève de la prouesse, et un pari hautement réussi.

Bruno Boulzaguet lit et joue les textes et J-C Feldhandler l’accompagne de ses percussions dans une profonde connivence.  Assis à une table, petite lampe, le comédien-conférencier à lunettes semble sérieux, le regard parfois grave et sans-cesse animé, le ton docte, il entreprend de passionner son auditoire par le flux rapide de propos aux faux airs savants. Car surprises et pièges nous attendent au détours de ses phrases : arrêts sur des mots qu’il décortique ; effeuillage lexical, irruptions syllabiques, autant d’homonymes déconcertants et hilarants, réinsérés aussitôt dans de nouveaux segments de sens inattendus, se succédant dans un rythme obsédant, puis soudain, lent et monomaniaque. Les rires éclatent au milieu de ce délire verbal – qui, néanmoins, comporte une logique inébranlable ! Oui, l’absurde peut avoir sa logique propre, et n’en est que plus efficace, frappant. Bruno fait souvent des pauses, et des silences naît l’attente du spectateur qui repart à rire aux premiers mots du comédien. Son expression sérieuse, bizarrement – délicieuse magie – nous amuse : c’est qu’il a au fond des yeux, une lueur naïve malicieuse, et une sorte de défi. Et quelle présence ! Il est M. Foucault-même, à travers lequel il a saisi l’esprit « déjanté » de Brisset, et cela de ses propres termes.

Le musicien J.-C. Feldhandler rythme et colore les mouvements variables de la lecture, en lui apportant une densité, une fluidité indispensable. Il joue sur un  bol chinois, des cloches et une kalimba. Indispensable l’est également l’éclairage assuré par Oliver Oudiou, 3ème complice de ce spectacle : il a baigné la scène d’une lumière douce, centrée sur les deux artistes qui les enveloppe comme une caresse.

Au final, Bruno se laisse emporter par sa logorrhée, dans une exaltation bouillonnante, à partir du mot « saloperie » que Foucault a pris plaisir à détourner, à re-lexicaliser dans un emboîtement fracassant de sens. Il terminera par un cri qui nous atteint en plein coeur.

On aura plaisir à retrouver ces quatre garçons de Théodoros Group à la prochaine saison !

Une deuxième performance, cette fois physique inouïe, et littéraire.

Une 2ème partie – lecture acoustique – nous est proposée après 10 minutes de pause. Imaginez un vélo d’appartement, des pédales et des manivelles de sirènes reliées à des micros; un trombone relié à un immense boyau qui traverse plateau et salle. Therry Madiot, un musicien de haute volée et passionné modeste de techniques musicales et acoustiques, a lui-même réalisé ces « instruments » uniques. Il a su associer les sons pour produire des choses étonnantes. Il lit des fragments de l’écrivain allemand Ernst Junger La guerre comme expérience intérieure, pour y insérer de temps à autre des espaces sonores, parfaite illustration de ce qui est décrit dans le texte. Il nous donne à entendre exactement le bruit des avions à réaction, les vols aériens en rase-mottes ; les sirènes de plus en plus stridentes, les différentes intensités issues du texte sont rendues de façon telle que nous sommes de suite plongés corps et âme dans le récit de guerre (toute intérieure soit-elle) de Junger, début du XXème siècle, témoins des conflits mondiaux… Même réalisme poétique, même puissance évocatrice dans les deux approches, les mots et les sons.

Thierry actionne d’un bras une petite table de mixage, joue du trombone, pédale des deux jambes, et respire en même temps ! Et souffle dans le boyau ! Dans une concentration extrême qui nous subjugue et retient notre souffle, cet artiste fait agir tout son corps avec une précision dans l’énergie, incroyable.

Le support littéraire magnifique donne tout son sens à cette performance qui, à l’inverse de certaines, n’a rien de gratuit, n’est pas que prouesse physique ou technique.

C’est bel et bien une « expérience intérieure » (en référence au titre) qu’il nous fait vivre.

7 Propos sur le septième Ange
Tours et détours de Babel

D’après : Michel Foucault
Jeu : Bruno Boulzaguet
Percussions : Jean-Christophe Feldhandler
Lumières : Olivier Oudiou
Cie Théodoros Group

Du 20 au 30 juin 2011

Théatre de L’Atalante
10 place Charles Dullin, Paris 18e – Réservations 01 46 06 11 90
www.theatre-latalante.com

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