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3 annonciations, de Pascal Rambert et Yves Godin, Chaillot – Théâtre National de la danse

Fév 03, 2023 | Commentaires fermés sur 3 annonciations, de Pascal Rambert et Yves Godin, Chaillot – Théâtre National de la danse

 

© Marc Domage

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

3 tableaux, 3 femmes, 3 langues, 3 atmosphères, 3 annonciations.

Un ange italien (rouge), une vierge espagnole (illuminée), une cosmonaute française (de fortune).

Un flot de parole(s) éthérée(s), un discours féministe, un récit dystopique.

3 points communs : des femmes qui monologuent, qui se mettent à nu (aux sens propre et figuré), en présence d’un lys.

Ce spectacle de Pascal Rambert tranche à première vue avec ce que l’on connaît de lui. L’auteur et metteur en scène dit s’être inspiré de peintures vénitiennes où il est vrai, mais finalement comme dans toute l’histoire de l’art (notamment le Florentin Fra Angelico qui est cité), le thème de l’Annonciation est récurrent, pour mieux s’interroger sur ce qui pourrait être « annoncé » aujourd’hui. Il utilise une fleur de lys, seul élément de décor pérenne et commun aux trois tableaux. Symbole courant dans la religion chrétienne, d’abord de fécondité dans la lignée mythologique (la maternité d’Héra), puis assimilé à Marie et aux vertus chrétiennes, qui seront reprises dans le blason de la Couronne de France (la foi, l’espérance et la charité). Mais en fait, Pascal Rambert s’éloigne de l’Annonce faite à Marie par l’ange Gabriel et retrouve des réflexes, des obsessions même peut-être, à commencer par celle de travailler avec des artistes fidèles et aimées, puis de porter un regard sur le monde distancié, n’ayant pas nécessairement besoin de récit structuré, privilégiant le monologue pour mieux s’adresser directement et surtout émotionnellement au spectateur.

Les tableaux de femmes qu’il propose se présentent comme des expériences stylisées et performatives qui peuvent être lues comme une histoire de l’humanité à travers trois grands marqueurs esthétiques symbolisant les trois âges de l’être humain (la naissance avec le Quattrocento italien, la maturité avec le Siècle d’Or espagnol et la déchéance annonçant la mort prochaine de l’humain dans notre XXI e siècle débutant).

L’ange rouge parle donc de la naissance, de cet acte de naître révéré dans toutes les civilisations et religions, qui est pourtant d’une si grande violence qu’il fait jaillir le sang. Le discours, débité de manière extrêmement rapide et en italien par Silvia Costa, dont le profil et les ailes émergent peu à peu du noir complet qui avait envahi le plateau, est difficile à suivre, mais sans doute à dessein. Il dit pourtant un certain nombre de choses essentielles et qui sont peut-être plus fascinantes si on les aborde sous un angle plutôt psychanalytique que théologique. On pense inévitablement à Dolto quand l’ange reprend cette phrase que prononcent si souvent les humains, « je n’ai pas demandé à naître », et qu’il corrige presque aussitôt par « oui, nous demandons à naître », comme s’il avait entendu la réponse de la pédo-psychanalyste française expliquant le désir inconscient de vivre, qui s’il n’existait pas ne permettrait pas la naissance. L’ange castelluccien se recroqueville à terre comme un fœtus, avant de quitter ses ailes comme un papillon sa chrysalide, assumant donc sa naissance et la partageant avec tous les êtres vivants ayant la voûte céleste en commun. Et là, on croirait entendre Etty Hillsum décrivant dans son journal ce ciel commun à l’ensemble des êtres humains disséminés sur la planète terre.

La vierge espagnole avec sa coiffe-couronne lumineuse et imposante brille de tous ses feux. Rayonnante dans sa posture, sa diction, son discours volontariste, sa « verticalité ». C’est la femme qui monte, qui jamais ne courbe l’échine, elle pense que la vie ne se donne pas, qu’il faut coûte que coûte marcher, avancer, quitte à ramper car « l’entrée dans le monde » est comme une « entrée dans la violence ». C’est une femme qui semble avoir dû vaincre l’abus (sexuel dans l’enfance ?) mais qui n’est pas (plus ?) soumise et pardonne (sans doute) les mains offertes, bras en croix après avoir prononcé ses annonciations, tels les oracles d’une Cassandre illuminée, et se dénude en évoquant la sororité, traînant sa robe dans l’obscurité qui se reforme pour la laisser quitter ce monde.

Changement de dimension avec l’arrivée de la femme cosmonaute, dont on comprend qu’il s’agit d’un vêtement de survie dans un monde en plein chaos qu’une mère et sa fille ont dû fuir dans la précipitation. Audrey Bonnet se meut avec la lenteur des spationautes. Le discours se fait politique, ce qui peut susciter les mêmes réserves que dans Ranger. L’envoûtement de la première heure, entretenu par le beau travail de lumières d’Yves Godin, s’éteint. On entre dans autre chose. Pour mieux nous faire retourner dans le monde réel, dans « le vacarme du monde », pour regarder en face « La Crucifixion » plutôt que « L’Annonciation » ?

 

© Marc Domage

 

3 annonciations

Espace : Pascal Rambert et Yves Godin

Lumières : Yves Godin

Collaboration artistique : Pauline Roussille

Costumes : Anaïs Romand

Musique : Alexandre Meyer

Avec : Audrey Bonnet (France), Silvia Costa (Italie), Itsaso Arana en alternance avec Barbara Lennie (Espagne)

En italien, espagnol, français (surtitrés)

 

Durée 1h30

 

Chaillot – Théâtre National de la danse

Salle Firmin Gémier

1 Place du Trocadéro – Paris

Jusqu’au 4 février 2023,  à 20h30

 

www.theatre-chaillot.fr

 

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