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Kurozuka, compagnie Kinoshita-Kabuki, Maison de la Culture du Japon à Paris

Fév 03, 2016 | Commentaires fermés sur Kurozuka, compagnie Kinoshita-Kabuki, Maison de la Culture du Japon à Paris

ƒƒƒ article de Denis sanglard


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© Toshihiro Shimizu

Kabuki techno.
Dans une lande inconnue et sombre, quatre moines égarés demandent l’hospitalité chez une vieille femme… Une ogresse. Légende des environs de Fukushima, Kurozuka est une pièce de Kabuki écrite en 1939, inspirée d’un nô. La particularité de cette création est de moderniser le kabuki. Aux kata devenus obscures aux japonais d’aujourd’hui, proposer une lecture contemporaine, accessible à la nouvelle génération japonaise, sans rien enlever de la singularité et de la particularité de cet art multi-séculaire. La compagnie de Yuichi Kinoshita relève le défi avec brio et intelligence. Et humour. A la gestuelle kabuki, à son exagération, fusionne la danse contemporaine. Un pont qui se fait tout naturellement, sans heurt aucun. Surtout au kami, cet être surnaturel, il donne une dimension psychologique insoupçonnée et rare. Cette vieille femme, cette ogresse redoutable, est avant tout une mère profondément blessée du meurtre originel perpétré qui la transforma en cet être redoutable. Ce sont de longs silences où le temps est suspendu qui expriment soudain cette félure, qui fait basculer le kabuki dans un autre registre, plus intimiste. Kimio Taketani, dans ce role féminin traditionellement dévolu aux hommes, ne se travestit pas plus que cela. Onagata dépouillée, il est comme le dépositaire d’un rôle qu’il assume sans artifice, comme un marqueur, soulignant le travestissement d’une gestuelle esquissée, précise mais sans affeterie. Il est l’ogresse et la vieille femme de quelques signes, de quelques pas. Une distanciation heureuse qui souligne l’artifice traditionnel du procédé et marque le kabuki dans la tradition tout en l’évacuant pour l’inscrire dans la modernité. C’est d’ailleurs sans maquillage et sans costume traditionel que l’ogresse danse ou apparaît aux moines terrorisés à l’instant du combat. C’est le corps et son expression nue, juste une pointe de noir entre les sourcils, comme dépouillée encore une fois de tout artifice, qui est montré, comme à découvert. C’est sans doute en ce sens que l’habillage, le changement de costume – fort simple – qui voit la vieille femme devenir ogresse se fait lui aussi à vue. Kunio Sugihara, le metteur en scène, semble vouloir démonter minutieusement les mécanismes du Kabuki, les mettre à jour, pour en montrer toute la complexité, la richesse mais surtout en le dépouillant de ses effets, de ses atours, jusqu’à la scénographie, il met à nu l’humanité cachée sous le glacis de la convention devenue obscure aux japonais d’aujourd’hui. Et soucieux toujours d’inscrire le kabuki dans le monde contemporain, il truffe l’ouvrage de clins d’oeil malicieux, de repères compréhensibles par tous. Dans tout Kabuki il y a une comptine. Que la vieille femme se souvienne de son enfant et soudain nous entendons une chanson de Walt Disney, la chanson de Cendrillon. Et le même air de retentir lors du combat entre les moines et l’ogresse. Un contraste pour le moins original mais ça marche. Des moines en short, leggins et baskets fluo loin de tout ascetisme vestimentaire… Et même une adaptation d’une chanson d’Edith Piaf pour un chant traditionnel… C’est fort drôle et très bien vu. Comme introduire de la techno dans les moments de tensions, de peur, d’orage… ou de changement de décors qui voit par quelques accessoires, quelques fétus de roseaux, une pauvre baraque se transformer en lande sous un clair de lune blafard. Ce n’est pas céder à un quelconque effet de mode toc et facile. C’est dégripper un art sclérosé qui est à la fois sa force et sa faiblesse et le confronter au monde contemporain. Et découvrir avec bonheur dans ce frottement ce qu’il en résulte. En le dépouillant, en l’adaptant tout en conservant sa spécifité qu’il souligne comme telle, précieusement, qu’il complète en le confrontant à la modernité, il lui offre non sans audace une continuité et un avenir. Yuichi Kinishita lui-même souligne que son travail c’est aussi de s’interroger sur le Kabuki. Cette interrogation trouve ici une réponse formidable. Et pour nous occidentaux c’est une porte qui nous est ouverte sur un art soudain accessible sans que le mystère ni la beauté ne disparaisse…

Kurozuka
Compagnie Kinoshita-Kabuki
Supervision Yuichi Kinoshita
Mise en scène, scénographie Kunio Sugihara
avec Yuya Ogaki, Wataru Kitao, Kimio Taketani, Shinya Natsume, Kan Kukuhara

Du 28 au 30 janvier 2016 à 20h

Maison de la Culture du Japon à Paris
101 bis quai Branly – 75015 Paris
réservation 01 44 37 95 95
www.mcjp.fr

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