Critique d’Ottavia Locchi –
Au Théâtre de la Tempête, Pierre Pradinas met en scène deux pièces en un acte d’Eugène Labiche (1815 – 1888), « 29 degrés à l’ombre » et « Embrassons-nous, Folleville ! ».
Les quiproquos, actions entremêlées et autres fougues littéraires font partie intégrante de l’écriture de Labiche, et particulièrement dans ces deux vaudevilles… Les personnages vont et viennent, victimes d’histoires qui, à premières vue n’ont rien de drôle, mais tournent inéluctablement à la dérision faute d’individus raisonnables pour sauver le sérieux des affaires !
© Marion Stalens
« Ce n’est pas pour me vanter… mais il fait joliment chaud ! »
Dans « 29 degrés à l’ombre », le spectateur assiste au désordre d’un beau (et chaud !) dimanche après midi chez les Pomadour, alors qu’un invité commet l’acte odieux d’embrasser la maitresse de maison. Le crime est grave et la sentence sera exemplaire… ou tout du moins, essayera de l’être !
Le choix de se faire dérouler l’action dans les années cinquante est non seulement agréable car il permet à Romane Bohringer d’exposer ses jolies jambes de dame respectable, mais également judicieux car les bourgeois n’ont pas tant changé en quelques décennies…
L’herbe verte et fraîche sur laquelle l’action se déroule et les subtils jeux de lumière orangée apportent scénographiquement la chaleur dont les personnages souffrent; le soleil tape, cela trouble l’esprit, c’est bien connu !
Le jeu appuyé des comédiens qui insistent leurs tempéraments et accentuent leurs états n’apporte que plus de crédibilité à cette scène absurde du mari trompé qui cherche à se faire justice sans en avoir les armes.
© Marion Stalens
« On ne peut pas ne pas aimer ma fille ! »
Dans « Embrassons-nous, Folleville ! », l’auteur rejoue la carte surexploitée du mariage arrangé. Manicamp a décidé de marier sa fille Berthe au brave Folleville qui a sauvé sa renommée à la cour du roi lors d’une chasse au canard. Diantre, la fille en aime un autre… Le Vicomte de Chatenay, qui aime également la jeune Berthe, tentera tout pour convaincre le père de leur mariage. Sa rente, son amour, son statut auprès du Roi ne réussiront pas à convaincre Manicamp, entiché de Folleville, qui lui-même en aime une autre !
Labiche propose une véritable satire sur l’institution du mariage, car ce père (Manicamp) qui tient tellement à marier sa fille, a une affection disproportionnée pour celui qu’il a désigné comme gendre (Folleville), et en perd la raison, se laissant aveugler par cette décision hâtive.
Vêtus de costumes risibles “imitation-ancien-temps” aux tons criards et extravagants en plus d’être incohérents (chaussettes, perruques…), les comédiens jouissent de la vigueur du texte. Les traits sont forcés (trois des personnages se découvrent le point commun d’être… colériques !) et nous sommes happés dans les aventures qui ne peuvent que faire sourire.
La comédie musicale chez Labiche ?
© Marion Stalens
Pierre Pradinas a choisit d’exploiter le ridicule de la situation avec le ridicule que l’on trouve aujourd’hui : mettre en musique les situations pour mieux les illustrer. Ainsi surgissent en pleine exaltation théâtrale des chansons préenregistrées qui caricaturent le contexte. Les comédiens jouent le jeu et se prêtent au play-back tout en accentuant leur propre ridicule.
La mise en scène théâtrale pure a déjà son lot de caricature et le public a de quoi s’esclaffer. On retiendra entre autres les vases cassés et le combat de lentilles entre Chatenay et Manicamp ! L’énergie est utilisée à bon escient, si on est friand de farces et de burlesque.
Mais là où la caricature trébuche, c’est dans la répétition du “gag” des chansons. Les comédiens s’emportent dans des interprétations parodiques qui pourraient laisser un bon souvenir si elles n’étaient pas si répétitives… La monochromie qui caractérise musicalement chaque passage en play back fait rire d’abord et lasse ensuite. Quel dommage ! La redondance aurait pu être évitée si la musique avait été plus adaptée aux personnages. Du coup, le barda de gag, de caricature, de farce, de quiproquos en plus du texte déjà chargé risque de provoquer l’effet inverse que ce lui escompté…
« Pour qu’une comédie nous fasse rire, il faut qu’elle fasse référence à quelque chose qui nous concerne »
Pierre Pradinas
Le texte de Labiche est fidèle à sa réputation : cocasse et amusant, parfois grotesque et misant sur les petites répliques piquantes qui donnent tout un charmes à sa plume.
On retrouve une Romane Bohringer lumineuse dans ses deux rôles de femmes voluptueuses à qui il ne déplaît pas d’être au cœur des controverses. Matthieu Rozé, étonnant de pétillant dans son rôle de Piget nous convainc tout à fait en enfilant le rôle du chétif Folleville. Gabor Rassov et Gérard Chaillou aussi investissent leurs rôles avec vigueur, tout comme Thierry Gimenez, envoûtant en Adolphe pernicieux et agaçant en Manicamp buté !
L’ensemble est porté par un décor fort de sa simplicité apparente et une scénographie de qualité. On retiendra notamment la magnifique transition entres les deux œuvres qui s’est vu mise en scène avec élégance sur fond musical atmosphérique.
Deux Labiche pour le prix d’un dans un théâtre qui se prête au jeu avec qualité et espièglerie pour une soirée forte en cocasseries… que demander de plus ?
29 degrés à l’ombre et Embrassons-nous, Folleville !
De : Eugène Labiche
Mise en scène : Pierre Pradinas
Avec : Romane Bohringer, Gérard Chaillou, Thierry Gimenez, Gabor Rassov, Matthieu Rozé
Scénographie : Orazio Trotta et Pierre Pradinas
Musique : Dom Fargas et ThierryPayen
Lumières : Orazio Trotta
Costumes : Danik Hernandez
Maquillages : Catherine Saint-Sever
Collaboration artistique : Sabrina Paul
Régie générale : Fred Marcon
Réalisation décor et costumes : Ateliers du Théâtre de l’Union
Maître d’armes : Patrice Camboni
Chorégraphe : Lionel DesruellesDu 10 mars au 10 avril 2011
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du champ de Manœuvre, 75 012 Paris
www.la-tempete.fr