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Critique ・ « Perturbation » de Thomas Bernhard au Théâtre la Colline

Oct 02, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ « Perturbation » de Thomas Bernhard au Théâtre la Colline

ƒ Critique Dashiell Donello

perturbation 52 ©DR

Réalité initiatique d’un monde pathologique 

Cela commence avec les nouvelles conventions théâtrales : la sonorisation, la voix off, un film en parallèle avec le théâtre, ce qui a été joué (le film) et ce qui ce joue (le théâtre). Est-ce une addiction ? Bon. C’est dans l’air du temps pourquoi pas. Mais on se dit que pour un grand metteur en scène comme Lupa, c’est déjà une déception en soi. Il faut bien diviser les 218 pages du roman, pour soulager les comédiens d’un texte, qui leur aurait demandé un grand effort de mémoire sinon. Mais parlons de la densité et de la force du roman de Thomas Bernhard.

Le narrateur, le fils d’un médecin de campagne en Autriche, accompagne pour la première fois son père dans ses visites aux malades qui se terminera à Hochgobernitz, un château, où vit le Prince Saurau. Cette journée de consultations, va mettre ce jeune homme en face, d’une réalité initiatique, d’un monde baignant dans la solitude et la maladie. Il devra faire front aux limites de la médecine, et aux confusions des esprits.

En transposant à la scène, le roman de Thomas Bernhard, « perturbation » (1967),  Krystian Lupa s’est aventuré dans la lise, par trop dangereuse, de l’adaptation théâtrale qui ne supporte aucune greffe, ni rajout. L’œuvre bernhardienne est d’une telle précision qu’elle rejette tout ce qui parasite et refuse inexorablement le superflu. Peut-être que « perturbation » n’est pas fait pour la scène ? On peut se poser la question ; tant Lupa complique le récit au lieu de le simplifier. Bien sûr, la scénographie est inventive. Cela fait penser à un livre d’enfant qui, quand on l’ouvre, fait apparaître des personnages et un décor en trois dimensions. Mais, ce qui se passe à l’intérieur de cette machinerie est souvent brouillée et inaudible, hélas !

Cela va mieux quand on arrive dans le château. L’intériorité mentale du Prince est représentée par un mur avec une passerelle sans issue, sorte d’échafaudage de la déraison. Le Prince  Saurou (le merveilleux Thierry Bosc) se lance alors dans une confusion délirante. Alors nous parvient ce que nous dit Bernhard dans son œuvre :

Quand nous regardons les hommes, nous les voyons tantôt dans leur détresse, tantôt à la recherche de leur détresse. Il n’y a pas d’homme sans la  détresse humaine. »

Oui, c’est bien de cela dont il s’agit : la détresse du mal qu’a pu faire un trop lourd passé historique. Propos récurent chez Thomas Bernhard quand il parle de l’Autriche et des Autrichiens.

Nous voici de nouveau dans un théâtre intelligent, avec des  comédiens  incarnés et convaincants. Le récit nous « perturbe » comme de juste. Rien ne nous échappait, jusqu’à cette pause improbable…

En rajoutant deux scènes jouées simultanément, par l’ouverture  des chambres latérales de ce décor dépliant, Lupa  fait s’engouffrer l’ennui. Tout ce qui faisait adhésion avec l’esprit de Thomas Bernhard : les  scènes chez les patients, le rapport entre le docteur et son fils, deviennent soudain pénibles. Quelques spectateurs sortent. Thomas Bernard n’est plus là pour se défendre, mais, à coup sûr, il n’aurait pas aimé. Lupa affaiblit le texte source, lui enlève son sens originel et cet objet parasite blesse le style bernhardien. Cette mauvaise inspiration du metteur en scène est comme une vilaine verrue sur un beau visage. Cerise sur le gâteau le public est aveuglé, presque une heure durant, (mauvais réglage lumière sur le miroir ?) et n’entend presque plus les répliques. Quelle mouche a piqué Lupa ? Le discours intérieur de l’acteur serait-il cet indigeste brouillard de paroles ?

 » Je suis fasciné par la précision avec laquelle les acteurs s’engagent dans les exercices, par leur conscience, leur pensée créative. Tout cela donne des résultats très intéressants. «  Lupa

Pas convainquant et surtout pas visible. L’exercice à titre d’entraînement soit, mais de là à le donner en pâture au public, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Ce spectacle mitigé a pourtant de grands et beaux moments. Mais devait-t-il durer 4 heures 30 ? On pense au magnifique travail de Claude Régy, dans ce genre difficile de l’adaptation romanesque, en l’occurrence celle de Tarjei Vesaas, avec « Les brumes de dieu ». Régy avait eu la sagesse de ne prendre qu’une partie du récit. Krystian Lupa a-t-il eu les yeux plus grands que le ventre ?

Perturbation 
D’après le roman de Thomas Bernhard
Traduction de Bernard Kreiss

Mise en scène, adaptation, scénographie, lumière Krystian Lupa
Avec : John Arnold, Thierry Bosc, Valérie Dréville, Jean-Charles Dumay, Pierre-François Garel, Lola Riccaboni, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur, Anne Sée, Grégoire Tachnakian
Jusqu’au au 25 octobre  à 19h30 – Dimanche 15h30 – Relâche lundi
Durée estimée : 4h30 avec 2 entractes
Théâtre de la Colline
15, rue Malte-Brun ‚75020 Paris
Métro : Gambetta
Réservation : 01 44 62 52 52
http://www.colline.fr

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