Critiques // « 1973 » de et par Massimo Furlan au Théâtre de la Cité Internationale

« 1973 » de et par Massimo Furlan au Théâtre de la Cité Internationale

Déc 06, 2010 | Aucun commentaire sur « 1973 » de et par Massimo Furlan au Théâtre de la Cité Internationale

Critique de Denis Sanglard

Pierre Tchernia

Massimo Furlan a décidé à lui tout seul de refaire l’Eurovision 1973. Tâche ardue certes, mais pour ce performer, pas impossible. Soit après le vrai générique (signalons donc que le concours organisé cette année par le Luxembourg était commenté par  Pierre Tchernia) dix-sept candidats européens en lice. Massimo Furlan doit donc crânement assumer ce pari de représenter chaque candidat un à un, y compris les groupes… S’engage un marathon où notre performer change de costume, de perruque et de sexe avant d’entamer la chanson qui dignement représente le pays en compétition. A dire vrai les costumes ne lui vont pas très bien, le chant dans la langue originale (à l’époque l’anglais n’était pas encore standard) est approximatif et les chorégraphies pataudes. Et de temps à autre une complice vient à sa rescousse parce qu’un groupe c’est mieux à plusieurs que seul… Mais Massimo Furlan est sincère. Il n’y a pas chez lui de cynisme. C’est absurde, décalé et l’on rit, c’est vrai, du décalage entre l’événement et sa représentation présente, mais ce n’est jamais ridicule. Pino, l’avatar de Massimo Furlan, explique que pour sa famille cet événement était si important que l’on autorisait les enfants à regarder le poste. Puis très vite, une bonne vingtaine de minutes environ après cet étourdissant et hilarant carrousel, le vrai propos de Massimo Furlan apparait par la grâce de Cliff Richard, candidat représentant le Royaume-Uni, idole absolu de Pino Tozzi.

© Pierre Nydegger

Cliff Richard

Et là, on passe aux choses sérieuses, enfin presque… Massimo Furlan est un performer adepte du re-enacment ou l’art de rejouer un événement à l’identique à partir de son archive. Non pas par nostalgie mais pour interroger l’histoire et le contenu d’un événement. Parce qu’il n’y a jamais de reproduction à l’identique, c’est impossible et jamais Massimo Furlan ne pourra être une chanteuse espagnole, cette mise en abîme ouvre de nouvelles perspective de réflexions. Ce qu’interroge vraiment Massimo Furlan, c’est notre rapport à la mémoire mais aussi ce qui fait un événement populaire et plus particulièrement ce qu’est la chanson populaire et ses représentants, dont l’Eurovision est sans doute le plus pertinent, du moins encore dans les années 70. De quoi cela est fait, un chanteur populaire, une idole ?  Cliff Richard, surgi des coulisses, et devant un Pino Tozzi ébahi, entame alors une réflexion philosophique sur la définition même du statut de star qui n’est pas la même chose qu’idole ou icône. Et l’on atteint dès lors un sommet dans le comique de situation puisque intervient également le guitariste du groupe suédois qui, lui, entame un débat sur la chanson populaire et son rôle, discussion qu’il tentait d’amorcer un peu plus tôt… Et pendant ce temps là défilent imperturbablement les candidats. Le sommet est atteint quand Pino Tozzi convoque son propre père, Ugo, sur le plateau. Et que lui aussi participe au débat. En résumé nous passons de l’Eurovision au Dossier de l’Écran. Mais c’est drôle, très drôle. On n’arrive pas toujours à suivre, à l’image de Pino Tozzi, mais c’est tellement surprenant et incongru que l’hilarité gagne la salle. Mais ce qui est fort subtil c’est que nos trois philosophes le sont vraiment dans la vie. Il s’agit de l’anthropologue Marc Augé, Serge Margel et Bastien Gallet. Ce dernier est aussi musicologue. Ils se prêtent au jeu avec beaucoup d’humour et sont formidable dans leurs personnages respectifs.

© Pierre Nyddeger

Martine Clémenceau

Nous voilà donc embarqués dans un navire que même Pino ne contrôle plus. Mais Massimo Furlan sait très bien où il va. Ce qui aurait pu sembler anecdotique, un spectacle sur la nostalgie, devient une création sur la mémoire et le collectif. Cet événement anodin vécu dans l’enfance s’avère être partagé par la communauté. C’est tellement vrai que mes voisins, la bonne cinquantaine semblaient incollables sur les chansons francophones qu’ils chantaient à mi-voix. Pour l’anecdote quand même c’était Martine Clémenceau qui représentait la France avec la chanson « Sans toi », et Patrick Juvet, oui  Patrick Juvet,  la suisse. Et le Luxembourg fut le grand vainqueur cette année là. Finalement c’est le père de Pino qui a sans doute la clef de cette création puisque quand est posée cette question pourquoi ce qu’il a tenté de reproduire n’a pas forcement le même attrait que le jour de l’événement il répond que les enfants ont cette capacité d’émerveillement que bien des adultes ont perdu… C’est cette sincérité de Pino Tozzi mêlée à la gravitée burlesque de Massimo Furlan qui fait sans aucun doute la réussite de cette création. N’hésitons pas : Twelve Points !

1973
Mise en scène : Massimo Furlan
Dramaturgie : Claire de Ribeaupierre
Scénographie : Antoine Friderici, Massimo Furlan, et Thomas Empler Hempler
Lumières : Antoine Friderici
Création Lumières : Antoine Friderici
Préparation musicale : Daniel Perrin
Technique son : Philipe de Rham
Costumes : Cécile Delanoë
Maquillage : Julie Monot
Avec : Anne Delahaye, Stéphane Vecchionne, Massimo Furlan, Thomas Hempler
Intervenants : Marc Augé, Serge Margel, Bastien Gallet

Du 2 au 7 Décembre 2010

Théâtre de la Cité Internationale
17 boulevard Jourdan, 75 014 Paris
www.theatredelacite.com

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