Critique Dominika Waszkiewicz

L’Histoire du soldat est une réécriture d’un conte russe intitulé Le Déserteur et le Diable dans lequel Stravinski et Ramuz ont trouvé la matière populaire et universelle de leur apologue, tout en l’adaptant au contexte de la première guerre mondiale.

Un soldat rentre chez lui pour profiter de ses quelques jours de permission. Sur le chemin, il rencontre un vieil homme qui lui échange son petit violon (-âme) contre un livre magique dispensant de merveilleuses richesses. Hélas, le candide soldat ne se rend compte que trop tard qu’il a été floué : il vient de pactiser, malgré lui, avec  le diable ! Par la suite, il va chercher à se dépouiller intégralement de tout bien matériel dans l’espoir de retrouver sa vie passée. En vain. C’est à ce moment-là qu’apparait la princesse. Elle est malade. Sa main a qui la guérira. Et hop ! Ni une ni deux : voici notre petit soldat qui entre dans une danse sensuelle avec la jeune femme au curieux déhanché drapé de rouge… Quand, tout à coup, le chef d’orchestre met fin à la scène, abruptement. Rideau !… Nous laissant quelque peu désappointés.

Une heure de flottement au cœur d’un rêve dont le sens nous échappe un peu…

Cette charmante petite pièce, mêlant musique, théâtre, danse, mime et chant, est une douce immersion dans le monde onirique. Elle s’ouvre sur l’image poétique du soldat funambule (Mathieu Genet), pauvre marionnette désarticulée, flottant au dessus de la scène et accroché à une grosse lune gonflée d’hélium. La trouvaille est belle et ravit l’œil et l’âme. Le déséquilibre du protagoniste nous émeut et son côté Pierrot lunaire (Stravinski connaissait l’œuvre de Schoenberg) nous touche par sa fragilité. Laurent Cuniot, en dessous et cheveux blancs en pétard, semble, en outre, tirer les ficelles de la fable. Le soldat trop naïf devient un pantin sous le joug démoniaque. D’ailleurs, Jean-Christophe Saïs n’hésite guère à renforcer la métaphore en faisant fusionner les rôles du diable et celui du chef d’orchestre. Image des affres de la création artistique et de l’inspiration ?

Ajoutons à cela que les musiciens de l’Ensemble TM+ sont sur scène et semblent participer plus ou moins pertinemment à l’action. Musique et théâtre s’imbriquent et s’enlacent en une semi-pénombre bleutée.

Malgré la beauté des effets liminaires, l’ensemble reste plutôt cahotant et l’histoire nous parvient par séquences, parfois brèves, parfois s’étirant sans grande linéarité. Certains moments paraissent plus en place que d’autres et le final nous laisse un peu comme en suspens, espérant une possible apothéose qui ne vient pas, après une danse qui s’est éternisée.

De plus, Le jeu théâtral des musiciens n’est pas toujours précisément réglé et certains de leurs déplacements revêtent un caractère plutôt hasardeux. Ainsi, le plateau s’emplit et se vide avec plus ou moins de maîtrise et de bonheur.

Finalement, le spectateur ressort modestement satisfait avec, au coin de l’œil tout de même, un peu de poussière d’étoiles et le souvenir des rythmes endiablés de Stravinski au creux du tympan.

Histoire du soldat

Conte musical d’Igor Stravinski
Texte : Charles-Ferdinand Ramuz
Mise en scène : Jean-Christophe Saϊs
Scénographie : Jean Tartaroli et Jean-Christophe Saϊs
Direction musicale : Laurent Cuniot
Collaborateur artistique : Jérôme Ragon
Costumes : BrunoFatalot
Maquillages : Élisa Provin
Lumières : Jean Tartaroli
Avec : Laurent Cuniot, Raphaëlle Delaunay, Mathieu Genet, Serge Tranvouez

TM+ : Noémie Schindler, Laurène Durantel, Nicolas Fargeix, Yannick Mariller, André Feydy, Olivier Devaure, Claire Talibart

Du 16 au 22 juin

Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet
7 rue Boudreau
75009 PARIS
Tél : 01 53 05 19 19
athenee-theatre.com
Métro :  Opéra, Havre-Caumartin, RER A Auber

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