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Parade(s) Festival des arts de la rue de Nanterre

Juin 08, 2012 | Aucun commentaire sur Parade(s) Festival des arts de la rue de Nanterre

Impressions de Dominika Waszkiewicz

À Nanterre, il arrive parfois qu’au réveil les habitants trouvent leur ville changée, comme si de petits lutins aux doigts de fées avaient déplacé les choses dans la nuit… C’est ainsi que la dernière semaine de mai fut le théâtre d’un curieux aménagement régi par Bénédicte Lasfargues et ses sbires : les rues se transformèrent en couloirs, les places en cuisine ou en salon, les murs en étagères. Un mobile vint traverser la rue du Docteur Foucault et figurer une corde à linge avec son incessant mouvement de vêtements séchant. Des sérigraphies furent placardées, un abribus de la rue des Anciennes Mairies devint four, des théières rouges en deux dimensions se balancèrent, un matin, aux lampadaires du parc…

Ainsi commença Parade(s) !

Bientôt, sous un délicieux soleil estival, nous parvinrent les chaudes notes cuivrées d’une fanfare et le gras fumet des merguez grillées vint épouser la suave exhalaison des chichis…

« Une fanfare de luxe pour un public exigeant »… Poule !

AOC, autrement dit L’Aile Ou la Cuisse, est une fanfare atypique cultivant, avec un goût sûr et une gourmandise contagieuse, l’art du mélange des genres. Leur spectacle de rue intitulé « Du plomb dans l’aile » mêle des saveurs de ska, de jazz, de hip-hop, de cha-cha, j’en passe et non des moins bonnes. Un menu varié pour un moment exquis : ces neuf cuisiniers du rythme, en noir et turquoise, nous embarquent dans leur tourbillon jubilatoire.

Des coiffures comme au temps d’Angélique

Grâce à leur dextérité arachnéenne qui ferait pâlir de jalousie la déesse  casquée, les doigts de Christophe Pava bouclent et débouclent les chevelures brunes ou blondes au rythme de Verdi ou de Liszt. Niché dans sa cage constellée de rubans, de plumes, de feuillages et autres accessoires baroques, le coiffeur génial, étrange oiseau venu d’un univers burtonien, crée ses « mystérieuses coiffures » sous l’œil admiratif d’un public conquis. Résultat : le parc des Anciennes Mairies se peuple de marquises des anges de tous âges, arborant fièrement les œuvres de l’artiste.

Le tango de la compagnie Bilbobasso : les « frissons de la braise »

Pour « POLAR », Delphine Dartus, Hervé Perrin, Yohanna Biojout, Patrice Meissirel et Catherine Roy nous entraînent dans un univers de gangsters des années 20 sur fond d’arrière salle de piano-bar argentin. Un coffre qui saute, des billets de banque qui s’envolent dans la nuit, des passions qui s’embrasent sur un rythme de tango. Et le feu, superbe et omniprésent, que piétinent les pas cadencés ou trainants des danseurs. Un spectacle vibrant et sensuel !

Les corps en apesanteur

« Banc public » est une création d’Aurélie et de Martin Cuvelier de la compagnie Virevolt. Les cinq artistes circassiens et musiciens nous offrent un moment unique et poétique où les corps se frôlent et se séparent entre un mât chinois et un banc. Alternant, en une féline fluidité, les rencontres improbables et les portés surprenants, Virevolt nous invite à venir partager des histoires d’amour et d’amitié en suspension.

So Sweet !

Venu de San Francisco, Pete Sweet nous propose, timidement et du bout de ses grands yeux bleus écarquillés de curiosité, sa douce candeur teintée d’irrésistibles approximations linguistiques. Mais, derrière cette touchante gaucherie, que d’adresse et de maîtrise ! Le funambule nous dévoile, tout au long de son show, ses talents : de la jonglerie au chant en passant par le monocycle ou la danse, le spectacle est exempt de toute fausse note. Chapeau !

Un doux regard de Keaton…

Au détour d’un chemin, entre la villa des Tourelles et le plan d’eau, Leandre, clown triste venu de Catalogne, nous enchante par son immanente et désarmante douceur. Généreux et humble, l’artiste joue aux marionnettistes en improvisant sur les réactions des spectateurs qu’il choisit dans le public. Face au joyeux enthousiasme des enfants (omniprésents pendant ces trois jours de festival), il propose des images poétiques et simples : une table à trois pieds qui bascule, un porte-manteaux un peu manchot, un miroir sur une coiffeuse… et nous chavirons, à sa suite, dans la magie contagieuse et illusionniste de ce théâtre du vide.

Voyage au temps de l’expo universelle

Dans un endroit caché, comme à l’écart de L’agitation du festival, se dresse le théâtre mécanique des ateliers Denino, relique de l’exposition universelle de 1900. Quelques poignées de gens attendent, se demandant si les pancartes dressées devant eux disent vrai. Ne prennent-ils vraiment que dix personnes ? Et chacun de se demander en secret : serai-je élu ? Mais élu pour quoi ? Bettina Vielhaber et Alain Richet, les deux comédiens vêtus, pour l’occasion, à la manière des forains du début du siècle dernier, nous expliquent le comment et le pourquoi en un prologue quelque peu bourru mais non dénué d’humour. D’abord, le théâtre est quasiment plein et il ne reste plus que dix places ! Ensuite, les spectateurs seront choisis en fonction de leur taille afin de prendre place derrière les toises aménagées à des hauteurs différentes. « C’est le théâtre qui choisit son public et non le contraire » … à méditer ! Gants de dentelle noire et bibi sur le front, mademoiselle Nina lève donc ses yeux gris et timides pour désigner les chanceux qui pourront assister au déploiement magique du théâtre miniature… Mais, chut… Que le mystère demeure !

« C’est l’histoire d’Hamlet, Prince du Danemark… »

Comment résumer une pièce de la complexité de Hamlet en 40 minutes et, de surcroit, dans la rue ? Avec du talent, pour sûr ! Et, surtout, une bonne dose d’énergie. Voilà comment Emmanuel Moser et Laurent Lecoultre (rien à voir avec la famille Jaeger-Lecoultre) vont se lancer dans une périlleuse aventure dramatique!

Le public s’amoncelle dans la rue de l’église de Nanterre et s’installe autour du figuier sous lequel s’agitent déjà les comédiens en nous apostrophant, nous encourageant fortement à nous rapprocher d’eux. Les incitations sont directes, autoritaires parfois. Cependant, étrangement et par une bien curieuse alchimie, le spectateur ne se sent pas agressé par ces injonctions. Au contraire, Manu et Laurent parviennent à garder intacte notre bonne humeur de festivaliers afin de nous faire pénétrer dans un univers où règnent la fantaisie et l’improvisation. Ce qui touche avant tout dans ce bref moment urbain, c’est la simplicité des outils : une serpillère sur la tête d’Ophélie, des passoires fluos en guise de couronnes pour Gertrude et Claudius, des plumeaux flashis figurant les épées de Laërte et de Hamlet. « C’est tout ce qu’il y avait chez le curé ! » Les comédiens semblent construire leur spectacle, au fur et à mesure et de bric et de broc : nous nous sentons les témoins privilégiés du processus créatif. C’est jouissif ! Et le parvis de la cathédrale prend des allures de théâtre de foire.

Il va falloir, maintenant, choisir les protagonistes. Avant même que la fatidique question ne se pose, une volée de mains enfantines se lève pour jouer Hamlet. « Moi ! Moi ! ». C’est à qui criera la plus fort. Un petit garçon est désigné : il aura pour mission de crier « Vengeance ! » à pleins poumons à chaque fois que le narrateur, Manu, prononcera le nom du prince danois.

Après un bref mais efficace prologue (qui résume un bon quart de l’intrigue), l’histoire peut commencer. Et Hamlet de s’exclamer régulièrement « vengeance ! », à quoi notre petite Ophélie, en herbe mais pas encore noyée, répond par des « glouglou ! » emphatiques.

Les situations sont drôles, bien menées et nous dévoilent une chose dont l’on se doutait déjà : les enfants ont un don inné pour le théâtre. Leurs interventions sont spontanées et si vraies que le cœur en tremble de plaisir. Et l’on rit ! Non pas des enfants mais plutôt avec eux. On rit parce qu’il se passe, là, sous nos yeux, des transformations magiques et sincères. On rit parce que Laurent et Emmanuel nous montrent, avec ce point de vue inhabituel et touchant, toute l’humanité des personnages shakespeariens, de chair et d’os. Parsemez tout cela de petites remarques décalées sur Lady D (« Quelle est la dernière chose qui soit passée par la tête de Lady D ? ») ou sur Jean-Marc Ayrault (« C’est pas parce que t’es premier ministre que t’es un héros »), ainsi que de légères échappées un peu trash sur la fin, et vous aurez une petite idée de ce que proposent les batteurs de pavés. « Le reste n’est que silence ».

Et bien oui, l’exception culturelle française existe !

… Et ce sont des Suisses qui nous le rappellent.

Merci à Mireille Odena et à l’équipe des organisateurs de tous poils pour ces trois jours de spectacles offerts aux chanceux Nanterriens et à ceux qui ont su trouver le chemin vers ce festival unique en son genre et qui dure depuis 1989.

Festival des arts de la rue

Parade(s)

1, 2 et 3 juin 2012 à Nanterre

(En 2013, les 31 mai, 1er et 2 juin)

www.nanterre.fr rubrique « envies »

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