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Critique • « 11 septembre 2001 » de Michel Vinaver au Théâtre de la Ville

Sep 19, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « 11 septembre 2001 » de Michel Vinaver au Théâtre de la Ville

Critique d’André Antébi

Dans le vertige du moment, avant que le monde n’ait eu le temps de reprendre son souffle, avant que le choc ait cédé la place à l’analyse, au moment même où le fait devenait mythe, Michel Vinaver a écrit 11 Septembre 2001.

Vinaver définit le Mythe comme un « évènement qui cesse d’être décryptable et qui échappe à toute signification » (1). Et saisissant tout de suite la dimension mythique de cet évènement, Vinaver n’a pas cherché à prendre du recul et comprendre. Sa pièce, faite d’un entrelacement de bribes d’articles, de discours, de témoignages de survivants, de parents endeuillés ou de vivants sur le point de mourir, a vu le jour quelques semaines à peine après les attentas.

Il s’agissait pour l’auteur, il en parle aujourd’hui avec la distance de ces dix années, « d’anticiper sur les commentaires » (1) et de conserver l’immédiateté de l’évènement.

© Pierre-Etienne Vibert

Anticiper sur les commentaires, c’est-à-dire écrire sur ce mélange, à la fois d’incompréhension inhérent à la nature extraordinaire des attentats et la vision très nette que le monde venait de basculer dans une ère nouvelle. Michel Vinaver n’apporte aucun élément de réflexion sur l’évènement, mais seulement des faits, des actes et du vécu, jetés comme une matière brut. Il nous maintient dans un entre-deux et dans un flou permanent qui nous empêche, à dessein, de déceler un quelconque point de vue.

Monter cette pièce 10 années après son écriture et les attentas du World Trade center posait donc de manière évidente cette question de l’immédiateté, puisque tous les commentaires ont été fait. Tout n’a-t-il pas été dit, vu et entendu des milliers de fois ?

Et bien malgré ce temps écoulé, le projet d’Arnaud Meunier, fidèle à la volonté de Vinaver de s’enraciner dans le réel loin de toute analyse, est une réussite. Et la principale serait d’avoir su jouer sur le déséquilibre et le flou, sur l’incertitude, comme si cette pièce était la photographie émotionnelle de l’instant où chacun d’entre nous a vu sur nos écrans un avion s’écraser dans une tour.

Arnaud Meunier bouscule d’emblée nos habitudes en proposant une distribution faites d’une quarantaine de lycéens non comédiens. On comprend mal l’objet devant lequel nous nous trouvons. Spectacle d’élèves ou spectacle professionnel ? Peu importe au final les maladresses et naïvetés de jeu, elles ne font qu’accentuer notre perte de repères.

© Pierre-Etienne Vibert

Cette distribution permet aussi au metteur en scène de marquer son spectacle dans le présent et de parler des 10 années écoulées. Vers la fin de la pièce, des photos de chaque comédien, prises à l’époque des attentats, sont diffusées sur grand écran. Il faut un temps pour comprendre que nous ne sommes pas face à la diffusion hommage de photos de victimes. Là encore, les repères vacillent. Ce très beau moment où chacun apercevant sa photo, la désigne du doigt, nous rappelle que pour eux, le monde à toujours été celui de l’après 2001. Ce chœur d’adolescent est celui de toute une jeunesse née sur les décombres d’un monde disparu s. Il nous fait prendre conscience du fossé culturel qui sépare ceux qui ont vécu le choc, de ceux qui vivent l’évènement comme une donnée historique.

La mise en scène joue ensuite sur une série de ruptures qui nous empêchent de « faire le point » de saisir le point de vu et de l’auteur et du spectacle. On passe ainsi sans transition du message douloureux d’un passager sur le point de mourir, au grotesque du chœur de Pom Pom girls, de la compassion à la dérision, des discours croisés de Bush et de Ben Laden à l’intervention de l’ « anonyme », héros par excellence de cette nouvelle Amérique. Ces allers retours, ces zooms grossissant et rétrécissant, expriment parfaitement la complexité, le désordre et le vertige des semaines qui ont suivis les attentats du World Trade center.

Le parallélisme entre les discours de Bush et de Ben Laden est d’ailleurs très emblématique de cette pièce. Elle a provoque en 2005, lorsque la pièce a été jouée, le malaise des autorités française aux Etats Unis (malaise point partagé par les autorités américaines). Elles y voyaient un parti pris de l’auteur plaçant sur le même plan le président US et le chef d’un groupe terroriste, là où Michel Vinaver, fidèle à sa ligne ne fait que constater l’identité de champ sémantique entre les deux paroles.

Mais dans la mise en scène d’Arnaud Meunier, ce parallélisme n’est pas que sémantique. Tout est fait pour le surligner, position dans l’espace, nombre de comédiens interprétant les personnages. C’est une totale symétrie qui est proposée, là où le texte n’avait sans doute pas besoin de tant de marqueur.


  1. Emission Changement de décors sur France Culture du 11.09.2011

11 Septembre 2001
Texte : Michel Vinaver
Mise en scène : Arnaud Meunier
Assistante à la mise en scène : Mélanie Mary.
Chorégraphie : Jean-Baptiste André avec la complicité de Rachid Ouramdane
Scénographie : Damien Caille-Perret
Costumes : Anne Autran
Création lumières : Romuald Lesné
Création son : Benjamin Jaussaud
Chef de projet : Karine Branchelot
Avec : Philippe Durand, Elsa Imbert, Nathalie Matter, Stéphane Piveteau, Thierry Vu Huu et des lycéens issus de trois établissements de Seine-Saint-Denis : le lycée Evariste-Gallois à Noisy-le-Grand, le lycée Voillaume à Aulnay-sous-Bois, le lycée Jean-Renoir à Bondy

Les 10 et 11 septembre 2011

Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet, Paris 4e
Méto Châtelet – Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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