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Y aller voir de plus près, de Maguy Marin, Théâtre Benoît-XII, Festival d’Avignon (In)

Juil 15, 2021 | Commentaires fermés sur Y aller voir de plus près, de Maguy Marin, Théâtre Benoît-XII, Festival d’Avignon (In)

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Quel déchirement de se sentir désarmée pendant une heure et trente minutes devant un spectacle orchestré par Maguy Marin.

Y aller voir de plus près n’est pas un spectacle de danse. On l’a craint en s’installant, le plateau étant tellement saturé d’éléments divers (percussions, tiges métalliques, lances…) qu’il laissait peu de place au mouvement. On l’a espéré au bout d’une quinzaine de minutes de leçon d’histoire antique, une demi-heure plus tard, et même dans le dernier quart d’heure, ne pouvant croire que de danse des corps il ne serait jamais question. Quelques spectateurs lassés sont partis, très peu en réalité. Aucune protestation explicite ne s’est manifestée dans une assemblée passive ou patiente. Soit que le public présent ne venait pas voir du Maguy Marin, soit parce qu’il s’était bien renseigné…

Y aller voir de plus près est comme l’indiquait en effet le programme une « création » « inspirée par la Guerre du Péloponnèse ». De la Guerre du Péloponnèse il est en effet question par le menu. C’est une lecture de morceaux choisis de l’œuvre de Thucydide qui est délivrée une heure et trente minutes durant, oui, par quatre interprètes, deux hommes et deux femmes, manipulant et installant sans cesse des objets les plus divers (fleurs, fruits, chaise longue parmi les plus inattendus), donnant moult détails au moyen de petits écriteaux affichant des dates, des noms (Lacédémoniens, Corcyréens, …), des chiffres (nombre de bateaux ici ou là), des mots clefs qui n’en sont d’ailleurs pas toujours (terre, ciel, bateaux…). Ils sont accompagnés par des vidéos, diffusées sur deux, puis trois, puis une dizaine d’écrans qui occupent tout l’espace physique du plateau et tout l’espace visuel, saturant la vision d’une projection fragmentée de cartes, de batailles, d’animations à base de collages ou pliages et de photographies de personnalités et réunions politiques.

Le rythme de Y aller voir de plus près est étrange pour un spectacle créé par une chorégraphe. Comme une course folle, une accélération permanente, une cadence qui dansée n’aurait pas été tenable et sur une création sonore également effrénée.

Les interprètes arrivent sur le plateau en tuniques blanches, gilets sans manche colorés, impressionnants coiffes et masques, mais les ôtent aussitôt pour demeurer, l’heure vingt restant, en tee-shirts affichant des photographies des sites antiques grecs. Et la lecture marathonienne du livre (au sens propre) de Thucydide commence, chaque interprète prenant le relai de l’autre, tout en tapotant sur sa percussion, puis se déplaçant sur le plateau, actionnant le projecteur à diapositives quand il n’affiche pas les susmentionnés écriteaux ou ne tape pas sur ses percussions. Une agitation répétitive, une surenchère de moyens, une énergie qui paraît vaine, une lecture qui semble sans fin, comme la Guerre du Péloponnèse.

Si le propos se voulait politique, le procédé ne peut entraîner l’adhésion. Car la succession de photographies des grands noms de l’histoire économique (ils y sont tous, de Smith à Hayek en passant par Keynes et autres) intercalées avec celles des personnalités contemporaines, du monde politique, industriel et commercial mondiaux, laisse pantois. Comment placer sur le même plan Pinochet et Blair, Bezos et Berlusconi, Dassault (toute la famille fait partie de la galerie de portraits) et Poutine, Bolsonaro et Lagarde (et les dizaines d’autres utilisés) ? C’est très problématique de laisser entendre qu’il n’y a aucune hiérarchie pertinente à établir entre les personnalités citées, même si cela flatte les masses, ce que l’on ne peut évidemment prêter comme intention à la chorégraphe, lesdites masses étant par ailleurs une notion relative dans le In. Peut-être n’a-t-on rien compris alors à ses intentions, peut-être est-on passé à côté des subtilités qui nous auraient échappées de cette démonstration des enjeux de domination (politique, économique, militaire, industrielle) qui existent comme chacun le sait depuis la nuit des temps, tout comme les atteintes aux droits fondamentaux tolérées, voire organisées par ces mêmes pouvoirs. On se réjouira au moins que la modernité du texte antique, bien connue des historiens du droit et des relations internationales, connaisse  désormais une plus grande audience.

En y allant voir de plus près, Maguy Marin a laissé de meilleurs souvenirs dans les lieux mythiques du Festival (son premier notamment avec May B.) et même si ces dernières années, la danse n’était pas toujours au cœur de ses créations, on ne peut s’empêcher d’attendre impatiemment un retour flamboyant en Avignon à sa discipline d’origine.

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Y aller voir de plus près de Maguy Marin

Avec : Antoine Besson, Kais Chouibi, Daphné Koutsafti, Louise Mariotte

Film : Anca Bene

Scénographie : Balyam Ballabeni, Benjamin Lebreton

Lumière et direction technique : Alexandre Béneteaud

Musique : David Mambouch

Son : Chloé Barbe

Maquettes : Paul Pedebidau

Iconographie : Benjamin Lebreton, Louis Mariotte

Costumes : Nelly Geyres

Technique vocale : Emmanuel Robin

 

Durée 1 h 30

Jusqu’au 15 juillet à 22 h

 

 

Festival d’Avignon – In

Théâtre Benoît-XII

12 rue des Teinturiers

84000 Avignon

www.festival-avignon.com

 

Tournée :

2021 Paris, Rennes, Lorient, Narbonne, Tarbes, Pontoise

2022 Strasbourg, Dijon, Bruxelles, Le Mans

 

 

 

 

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