© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Sur une terre de poussière et d’os, deux survivants rôdent dans un monde dévasté, couvert de cendre, qui n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut, une terre sèche après le déluge. Jacques Vincey rend palpable un univers à part, ou rien n’est tranché, tout est suspendu, avec un travail sur la matière au sol, motif fort de la pièce, réceptacle d’un charnier putride. L’aire de jeu, une étroite bande circulaire, se modifie lentement tout au long de la pièce, dans un amoncellement de gravats et de bois sur une bande son déformée. Ça transpire l’aridité étouffante du bush, les eaux rances, la peur et la violence primaire sur un plateau de cubes, de vapeurs métalliques et de néons vintage où les hommes fouaillent la glaise comme des malades.
Sale histoire que celle de Jim Barclay, un éleveur d’une région montagneuse d’Australie, retrouvé mort par Harry, l’ami qui vient une fois par mois lui apporter son courrier et son camarade Riggall, dans la rivière à quelques centaines de mètres de la ferme, enterré jusqu’au cou, la tête dévorée par les chiens sauvages. Tous deux vont errer, un fusil à l’épaule, à la recherche du coupable. À travers tempêtes de sables, neige, chaleur poisseuse et décombres, les terreurs primitives glacent le sang et font ressurgir des ogres.
Il y a du Steinbeck et du Faulkner chez Angus Cerini, relevé de cette pointe lugubre propre aux grands écrivains de polars américains. Son écriture charnelle, puissante et nerveuse, par moment lyrique ou poétique, nous prend d’emblée aux entrailles pour nous amener très loin en Wannangata grâce à un duo de comédiens remarquables qui rappelle la paire contrastée de flics des films noirs, aux méthodes très différentes. Le premier, Harry, interprété par Vincent Winterhalter apparaît comme un brave type capable d’accès de violence, presque borderline, au phrasé rocailleux. D’où vient cette violence ? Par quels fantômes est-il hanté ? Son acolyte, joué par Serge Hazanavicius, aussi rond qu’Harry est anguleux, tranche par son coté lunaire. Les deux pantins s’agitent face au néant, pour dessiner un effroi qui va crescendo face à une recherche qui patauge, et à l’impossibilité de circonscrire la puissance indicible du mal. Les didascalies s’entrechoquent aux dialogues, une langue bancale, rugueuse, d’éleveurs, de bouseux des hautes terres.
La mise en scène abstraite, d’une précision chirurgicale, contient le mystère insondable, presque fantastique, de nuits noires et assassines sur une corde raide qui peut rompre à tout moment. Notre système de valeur s’ébranle, on attend quelque chose en vain. Chercher un coupable n’est finalement qu’un début. Ce à quoi nous assistons c’est à la métamorphose de deux ploucs en héros shakespeariens, une hydre à deux têtes qui hurle à la mort. Que reste-t-il de nous quand il n’y a plus rien d’autre que nous ? On sort étrillé. Bravo !
© Christophe Raynaud de Lage
Wonnangatta, texte d’Angus Cerini, traduction Dominique Hollier
Mise en scène Jacques Vincey
Collaboration artistique : Céline Gaudier
Scénographie : Caty Olive et Jacques Vincey
Création lumière : Caty Olive
Création musicale : Alexandre Meyer
Costumes : Anaïs Romand
Avec Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter
Jusqu’au 24 mai à 19h, les samedis à 16h30
Durée : 1h 30
Dès 15 ans
Les Plateaux Sauvages
5 rue des Plâtrières
75020 Paris
Réservations : 01 83 75 55 70
www.lesplateauxsauvages.fr
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