© Mattea Manicacci
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
En 2015 Sophie Cusset accompagne l’agonie de son père dans cette maison de retraite, Les Balcons de Tivoli, où depuis 9 ans il réside. Là, elle observe et découvre un monde fermé sur lui-même, tragi-comique, où les résidents entre Parkinson et Alzheimer ne s’épargnent pas dans cette collectivité contrainte et forcée, où les aides-soignantes en effectif réduit font ce qu’elles peuvent, et beaucoup, et plus encore, avec un budget riquiqui et peau de chagrin et pour un salaire de misère. Sophie Cusset, le regard aiguisé, compile et chronique à travers une mort annoncée une réalité pas très jolie, franchement dégueulasse, qui éclate au grand jour depuis la parution du livre les fossoyeurs de Victor Castanet. Mais pas question pour Sophie Cusset de faire pleurer Margot dans les chaumières. Si rien n’est épargné de cette cruauté, de l’avilissement, du désarroi, du naufrage de la vieillesse et de sa prise en charge indigente, Sophie Cusset prend le parti d’en rire, magnifique pied de nez et doigt d’honneur à l’inéluctable et l’insoutenable. Sur la petite scène du Théâtre de Belleville, l’EHPAD est un joyeux cabaret où la déchéance et la mort à venir se parent de paillettes, où le pathétique devient prétexte au burlesque, les résidents de vrais et sales cabots et le personnel des super-héros. Sophie Cusset n’épargne rien d’une vérité qu’on se refuse à voir et si on rit, beaucoup, des situations ubuesques qu’impose une politique financière désastreuse, des solutions invraisemblables sinon surréalistes proposées pour divertir les résidents, de ces derniers aux répliques vipérines et des plus vachards entre eux, du prix d’un cercueil low-cost et des ravages des taupes dans les cimetières, perce une humanité qui vous serre salement le kiki. Parce qu’entre deux numéros aux dialogues étincelants et fichtrement acérés, Sophie Cusset se confie, monologue intime qui lève les tabous débusqués à l’aune d’une expérience bouleversante et universelle. Hommage à son père, mais aussi à la comédienne Yvette Petit (aperçue chez François Rancillac et pour qui a vu la Servante d’Olivier Py, elle était Tante Jaja) dont l’expérience et le parcours, avec beaucoup de mordant et d’autodérision, est évoqué. Yvette Petit qui devait participer à cette création pour laquelle elle a collaborée, collaboration que la mort a interrompue. Hommage aux aides-soignants débordés, victimes collatérales, super-héros fatigués d’un quotidien gériatrique devenu ingérable. Alors oui, Sophie Cusset met du blanc, des couleurs et des paillettes, colle un nez-rouge comme un faux-nez sur une réalité inavouable, met le son de la télé à fond, fait chanter du Céline Dion en play-back à ses vieillards insupportables, exaspérés sans nul doute et en toute logique de « ce long trépas »… Mais ce rire-là, indispensable, est salutaire qui dénonce la réalité tragique d’une fin d’existence devenu scandale.
© Mattea Manicacci
Wonder Woman enterre son papa, cabaret gériatrique et glamour d’après une histoire vraie texte et mise en scène de Sophie Cusset
Avec Audrey Bertrand, Sophie Cusset, Robin Causse, Delphine Raoult
Collaboration à la mise en scène : Gilles Ostrowsky
Avec les voix d’Anita Ostrowsky et Philippe Bertrand
Collaboration artistique : Audrey Bertrand
Collaboration à la dramaturgie : Pierre Guillois
Lumières : Sébastien Debant
Costumes : Carole Birling, Sophie Cusset
Création sonore : Dayan Korolic
Construction : Olivier Boisson
Du 6 au 29 mars 2022
Lundi 21 h 15, mardi 19 h 15 et dimanche 17 h
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris
Réservation 01 48 06 72 34
www.theatredebelleville.com
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