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Why?, texte et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Théâtre des Bouffes du Nord

Juin 29, 2019 | Commentaires fermés sur Why?, texte et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Théâtre des Bouffes du Nord

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Why? Cette simple interrogation, Pourquoi ?, est le cœur de cette nouvelle création, plus épurée encore que les précédentes, de Peter Brook et de Marie-Hélène Estienne. Un jour, Dieu vit que les hommes s’ennuyaient et il inventa le théâtre. Ainsi commence ce spectacle, comme un conte qui très vite, par l’évocation et l’hommage à Meyerhold et de sa femme, l’actrice Zinaïda Reich, vire à la tragédie. Mayerhold, pour qui le théâtre était une arme dangereuse, exécuté par le régime soviétique le 2 février 1940 et Zinaïda Reich, assassinée par la police de Staline en 1939.

Why? Pourquoi faire du théâtre ? Quel en est le sens ? Trois chaises, trois portants, un tapis pour scène, le vide d’un plateau pour tout viatique et trois immenses comédiens vêtus de noir, sans recherche comme pour une ultime répétition et parce que l’essentiel n’est pas là mais au-delà de l’accessoire. Dans les corps et les voix, l’incarnation. Dans cet espace nu, cet écrin unique aux murs rouges et pelés du Théâtre des Bouffes du Nord, ces trois-là vont tenter sans façon d’expliquer leur art, ce qui soir après soir les conduit à se produire sur une scène. Et c’est proprement jubilatoire ! Ce qu’ils offrent ainsi est la quintessence, la pureté absolue et sans scories du travail du comédien porté au plus haut. Ils sont à la fois la mémoire, les dépositaires et les passeurs d’un art protéiforme qu’ils partagent ici et sans manière avec un évident bonheur et un talent phénoménal. Cela vous arrache des larmes et cela vous provoque des fous rire. Hayley Carmichael, Kathryn Hunter et Marcello Magni sont tout simplement magnifiques et bouleversants avec cette façon si particulière, unique, d’incarner au débotté, de passer de la narration au jeu – et quel jeu ! – en douceur et profondeur, tout en subtilité. Rien jamais de démonstratif pourtant, de didactique. Pas de truc ni de ficelle grossière, mais une technique assurée. Parce qu’il y en a une et même plusieurs de Zeami à Craig – et la biomécanique initiée par Meyerhold – dont ils font ici l’inventaire de façon ludique. Mais avant tout on retient de l’ensemble cette épure absolue, dans le jeu et la mise en scène, une ligne constamment claire, lumineuse, tenue de bout en bout et qui signe le travail et la recherche constante de Peter Brook, 94 ans et que taraude encore et toujours cette question : Why? Cœur battant, moteur d’une quête jamais interrompue, la poursuite d’un mystère non résolu. Cette même recherche, cette même question qui sans nul doute fit de Meyerhold la victime, le martyr du régime soviétique auquel il avait cru et participé avec espoir en ouvrant les portes de son théâtre pour une nouvelle utopie. Cette deuxième partie est plus grave et l’émotion vous saisit lentement, vous glace au fur et à mesure de la descente en enfer de Meyerhold et de sa femme dont les portraits s’affichent bientôt au lointain. Et puis cette foudroyante image de ce tapis que l’on retire et jette au lointain à l’évocation du metteur en scène chassé de son théâtre ! Peter Brook signe avec ce dernier ouvrage, c’est évident, un dernier manifeste. Non quelque chose de définitif, encore moins de testamentaire. Mais l’affirmation répétée et tétue d’une quête contenue dans ce simple mot, cette interrogation, Why? qui porte en lui, comme une mise en abyme, plus de question qu’il n’en résout. Il n’y a pas dans cette création de réponse apportée, tranchée ou définitive, mais un questionnement qui ne cesse de se répéter ouvrant d’autres perspectives. Avec cette obstination de l’épure, portée ici encore une fois au plus haut, où entre l’auteur, le texte, le comédien et le spectateur il n’y a plus d’obstacle, rien qu’une communion, une même résonnance. Mais nul ne possède La Vérité conclue Peter Brook. Sauf peut-être le Théâtre jusque dans ses contradictions même… Why?