© Dajana Lothert

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Voilà une pièce chorégraphique revigorante qui sous l’extravagance et le foutraque, l’humour belge dans ce qu’il peut avoir de plus surréaliste, propose le plus sérieusement du monde une danse libre de toute contrainte, d’une classe folle dans la dinguerie et d’une élégance merveilleusement bancale. (On objectera avec raison que la chorégraphe est argentine, oui, et alors ? vivant en Belgique sans doute y’a-t-il eu capillarité). Soit une bande d’énergumènes, yeux écarquillés d’étonnement ou de trouille, allez savoir, qui se débattent comme ils peuvent, empêtrés dans une danse toujours empêchée, une danse tremblée, saccadée, puzzle incomplet et toujours recommencé, fragment de formes et de figures, ébauche de vocabulaire, du classique au contemporain, dont ils tentent bon-gré-malgré de donner une forme cohérente. Il y a du burlesque là-dedans, celui des films muets aux images sautillantes, on pense à Chaplin, rythmé au son d’un piano mécanique. Celui qui trône à jardin n’est pas mécanique du tout, joyeusement massacré à coup de barre de fer, et sur lequel on explose rageusement des boîtiers de C.D, dans une rythmique d’enfer menée piano-battant, piano battu, par une Léa Petra vengeresse et marmoréenne, disciple enragée de John Cage visiblement. A elle seule, elle assure le show et on peine parfois à s’en détacher pour revenir aux danseurs. A moins que malignement la chorégraphe Ayelen Parolin oblige à ce détournement du regard, ultime pudeur devant l’embarras dans lequel elle embarque génialement ses danseurs quelque peu empêtrés dans une chorégraphie qu’ils semblent inventer ou découvrir au fur et à mesure à leur grand désarroi. Ce néanmoins ce qui se passe sur ce plateau, outre la franche rigolade, le loufoque parfaitement assumé, le public hésitant entre lard et cochon, est d’une fragilité bouleversante dans le dévoilement opéré par les danseurs mis à nu en ce qu’ils osent une danse décorsetée, détachée de toute obligation chorégraphique pour une danse qui leur appartient en propre. Ce que leur offre Ayelen Parolin et qu’elle expose à vif, c’est ce plaisir tout nu de danser pour soi, rien que ce plaisir-là, qu’importe la forme empruntée. Ce plateau c’est une vaste salle de bal un jour de carnaval, au vu des costumes on pense à James Ensor, où chacun s’essaie à danser, pour un peu ils en rougiraient de se dévoiler ainsi, en solo, en duo, en bande organisée, accumulant clichés, tics et manière de, en se foutant bien au final du quand-dira-t-on mais dans le bonheur absolu du partage. De cette macédoine, de cette déconstruction explosive et de la danse, il ne faudrait ne pas y voir que le rigolo de la chose. Plus sérieusement ce qui est énoncé, là c’est bien le marqueur social de la danse, dis-moi comment tu danses je te dirai qui tu es, d’où tu viens. Et cette notion que d’aucun considéreront un peu idiote, mais qu’importe, celle du plaisir, voire du bonheur, rien que ça, de se démancher, de chalouper, de tenter le saut carpé, même au son d’un piano allègrement massacré. Et franchement, à nous spectateurs, en ces temps ingrats et incertains, ça fait aussi un bien fou.

© Dajana Lothert

Weg, chorégraphie de Ayelen Parolin

Création musicale et interprétation en direct Léa Petra

Assistante chorégraphique : Julie Bougard

Lumières : Laurence Halloy

Costumes : Wim Muyllaert

Dramaturgie : Olivier Hespel

Conseil scientifique : Pierre C. Dauby

Régie générale : Gaspard Schelck

Avec Baptiste Cazaux, Jeanne Colin, Piet Defrancq, Naomi Gibson, Daan Jaartsveld, Kinga Jaczewska, Dan Musset, Bianca Zueneli (en tournée) & Daniel Barkan, Marc Iglésias

Du 25 mars au 1^er Avril à 19 h 30

Le jeudi 31 mars à 20 h 30

Théâtre National de la Danse de Chaillot

Place du Trocadéro

75016 Paris

Réservations 01 53 65 30 00

billeterie@theatre-chaillot.fr

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