Critiques // Week-end Merce Cunningham, au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, Festival d’Automne Paris

Week-end Merce Cunningham, au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, Festival d’Automne Paris

Oct 17, 2019 | Commentaires fermés sur Week-end Merce Cunningham, au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, Festival d’Automne Paris

Merce Cunninhgam, Changeling © Richard Rutledge

 

 

ƒƒƒ article de Marguerite Papazoglou

À l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, Portrait de Merce Cunningham avec le Festival d’Automne revient sur l’œuvre de ce grand chorégraphe invité 35 fois par le Festival d’Automne entre 1972 et 2011, année de dissolution de la compagnie deux ans après sa mort. Il s’agit d’un évènement grand format, mondial, historique, avec spectacles, ateliers, projections et Events — concept cagien de compilations libres à partir du répertoire des pièces et/ou d’autres associations —, avec l’engagement des plus grandes institutions culturelles de la danse. Commémorer, remémorer mais plus encore transmettre, faire connaître aux jeunes générations la danse de Merce et la garder vivante. Tel est le cadre et tels sont les enjeux dans lesquels s’inscrit ce Week-end Merce Cunningham à l’Espace Cardin.

Commencer par une classe de technique Cunningham adaptée à tous, avec Cheryl Therrien, puis assister à une répétition publique de l’Event Cunninghamx100, que les élèves du CNSMDP danseront le 30 novembre à La Villette, est sûrement la meilleure des portes d’entrée pour comprendre le travail de Merce Cunningham : car la base de tout, ce qui à la fois permet de produire l’œuvre et ce qui la constitue, c’est ce travail du danseur défiant sa propre conscience du mouvement. C’est ainsi que cette danse de la complexité spatio-temporelle et de la prouesse technique devient un acte artistique qui nous vise et nous touche. Feront ainsi immédiatement écho, dans le remarquable documentaire de Charles Atlas retraçant la vie et le parcours chaotique du danseur et chorégraphe, puis dans ceux de Marie-Hélène Rebois et Klaus Wildenhahn, des phrases extraites des écrits de Merce Cunningham, comme : « les danseurs réalisent leur identité dans l’acte de danser », « [le but est d’] avoir une différente expérience d’un mouvement aussi commun soit-il », « regarder comment un danseur bouge, c’est ça l’expérience » ou la célèbre formule « la seule façon de le faire c’est de le faire ».

Au cours d’une vie de recherches ardentes et acharnées, Le chorégraphe américain a marqué irrémédiablement la danse contemporaine, créé près de 180 pièces et des centaines d’Events, révolutionné le mouvement par sa déconstruction du sens et démultiplié les possibilités techniques du danseur à travers sa technique, déstructuration du vocabulaire classique. En se libérant de toute référence à la narration, il a ouvert un nouveau champ pour le traitement de l’espace et du temps, suivant son dévouement infini au médium lui-même, le mouvement du danseur, et écartant toute interférence du moi du chorégraphe ou de l’interprète : pas d’intentionnalité psychologisante, pas de centre, pas d’apogée, pas de signification. De fait, « la danse ne s’appuie pas sur la musique [ou une quelconque référence] mais sur ses deux jambes ».

Ce grand monsieur, qu’on a l’habitude de se représenter comme un vieux monsieur sanctifié, a été jeune danseur prodige, chorégraphe pauvre et incompris par le public de la danse mais attirant à lui les meilleurs des artistes de l’avant-garde américaine. Et ce sont peut-être ces trente années, du milieu des années 40 au milieu des années 70 (toute une vie !), ces années du Merce Cunningham jeune d’avant qu’il ne soit celui qu’il est devenu, qui sont spécifiquement et (presque) soudainement mises en lumière au cours de ce Week-end. C’est dans ce sens que semble avoir été choisies les quatre pièces courtes qui ont été remontées ; c’est ce que révèlent les images d’archives ; c’est aussi la période sur laquelle la cinéaste Alla Kovgan a choisi de se pencher pour son film Cunningham présenté en avant-première au bout de cette programmation touffue.

La position est méritée, l’expérience époustouflante, en 3D ! Un travail irréprochablement minutieux et pertinent : dans le choix du contenu, la réalisation, la photographie, le montage, une sensibilité et une fraîcheur de lecture sur Cunningham, une plongée dans le sens et la sensation de la danse qui est filmée. On ne peut que souscrire aux propos de la réalisatrice : « j’ai voulu faire entrer le cinéma dans son œuvre, traduire son travail en film ». On y découvre la multiplicité du personnage de Cunningham, les liens de son travail avec le contexte artistique, son geste fondamentalement pluridisciplinaire, la vie de la troupe. Lié à de formidables séquences où Alla Kovgan filme des pièces dansées par les derniers danseurs de la compagnie. Un film de danse, où les jeux sur les points de vue, les proximités et les profondeurs, sur les couleurs et les lumières, et la mise en situation dans des décors qui sont autant de trouvailles, viennent magnifier la chorégraphie et donnent au spectateur la liberté d’y faire son propre parcours perceptif. Pas moins de sept années, la détermination et l’intelligence d’Alla Kovgan, ainsi que l’engagement de la Fondation Merce Cunningham et d’une  coproduction franco-allemande ont été nécessaires à la naissance de ce film, tourné en 3D avec rigueur et pertinence pour faire vivre la danse, cet art si fondamentalement éphémère et fragile.

Et si Merce disait « la danse n’offre rien en retour […] que cette sensation de se sentir vivant », nous pouvons, nous, aller vivre et revivre l’expérience du spectateur avec Cunningham, le film, qui sort en salles le 4 décembre, et avec encore sept rendez-vous dans le cadre de cette rétrospective inouïe du festival d’Automne, jusqu’au 21 décembre!

 

 

Second Hand © Martin Miseré

 

 

Week-end Merce Cunningham

– Classe Ouverte Cunningham pour tous animée par Cheryl Therrien

– Répétition publique CNSMDP Event dirigée par Cheryl Therrien

Films documentaires :

Une vie de danse, de Charles Atlas (2000)

La danse en héritage, de Marie-Hélène Rebois (2012)

498,3 rd Ave, de Klaus Wildenhahn (1967)

Films de pièces :

Roaratorio, de Marie-Hélène Rebois (2010)

Beach Birds for camera, d’Elliot Caplan (1992)

Biped, de Charles Atlas (2005)

Ocean, Charles Atlas (2010)

– Programme de pièces rares :

Totem Ancestor (1942), musique John Cage Totem Ancestor, cotsume Charlotte Trowbridge

avec Kevin Coquelard (John Scott dance)

Second hand (1970), musique John Cage Cheap imitation

avec Ashley Chen (John Scott dance)

Solo (1973/1975), musique John Cage Child of tree, interprétée par Mateff Kulmey

avec Michael Nunn et William Trevitt (Balletboyz)

Paris story – a re-imagining of story (1963), musique Toshi Ichiyanagi Sapporo, interprétée par Mateff Kulmey, lumières Patrick Lauckner et Falk Dittrich, son Mateff Kulmey, pièce remontée par l’ancien danseur de la Cie Merce Cunningham Daniel Squire, assisté de Clarissa Omiecienski.

avec Ty Boomershine, Anna Herrmann, Emma Lewis, Jone San Martin, Marco Volta, (Dance on), et la participation de Davide Balùla.

Film en avant-première :

Cunningham, réalisation Alla Kovgan, supervision de la chorégraphie Robert Swinston, direction de la chorégarphie Jennifer Goggans, directeur de la photographie Mko Malkhasyan, consultant au montage Andrew Bird, superviseur 3D Sergio Ochoa, montage Alla Kovgan, stéréographie Joséphine Derobe, conception des séquences d’archive Mieke Ulfig, costumes Jeffrey Wirsing, conception sonore et mix Francis Wargnier, ingénieur du son Olivier Stahn, musique originale Volker Bertelmann (Hauschka)

Sortie en salles le 4 décembre 2019.

 

Les 5 et 6 octobre 2019 de 11 h à minuit.

 

 

Théâtre de la Ville – Espace Pierre Cardin
1 Avenue Gabriel

75008 Paris

Réservation au 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

Festival d’Automne à Paris

Réservations 01 53 45 17 17

www.festival-automne.com

 

 

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