© Tuong-Vi Nguyen
Article de Nicolas Thevenot
On venait avec une réelle curiosité et envie. On avoue ne pas avoir vu de précédent spectacle d’Isabelle Lafon. Peut-être aurait-il fallu découvrir son travail avec Bérénice qui fut présentée il y a quelques mois au TGP.
Toujours est-il que la soirée fut déceptive. On ne pouvait pourtant que souscrire aux intentions indiquées dans la feuille de salle et à la citation de Virginia Woolf (Les Vagues) « Tout effort vers la connaissance est vain. Tout n’est qu’expérience et qu’aventure. Sans cesse, nous formons de nouveaux mélanges avec des éléments inconnus. »
La faute peut-être à ce que justement la belle idée (et les belles idées que l’on peut entendre dans la soirée) se cantonne à n’être qu’une idée incantatoire et jamais n’ouvre les portes d’une véritable expérience théâtrale pour les acteurs comme pour les spectateurs.
Cinq personnes sont réunies autour d’un projet associatif dans un centre social : organiser tous les jeudis soirs un ciné-club dont le film projeté nourrira les pensées et les échanges d’un collectif en constitution. Il y a Fantine, mécanicienne, à l’origine du projet, Georges, fleuriste, Shali, Iranienne travaillant comme assistante maternelle, Esther, factrice à la Poste, et enfin Martin, veilleur de nuit dans un hôtel et poète à ses heures. Il y sera question, notamment, de Salvador Allende et de la Commune, deux icônes indépassables de la gauche tendant un fil sur plus d’un siècle.
La scénographie, d’une grande simplicité, se fonde sur une scène tri-frontale, le dernier mur (on l’anticipe) servant à la projection d’un film qui viendra clore le spectacle. Avec un tel dispositif, on pourrait penser que le travail sera remis en jeu chaque soir par la forte proximité entre spectateurs et acteurs. Malheureusement, on a la désagréable sensation que les cinq comédiens se sont exposés pour mieux se barricader. Aucune porosité sensible entre les deux espaces, et très vite on se retrouve éjecté regardant ce qui se passe comme devant une télévision, sans jamais se sentir concerné puisque l’on n’existe pas. On assiste de loin à des discussions qui ne nous touchent pas, parce qu’elles ne nous intègrent pas, parce que, même si elles se sont écrites lors d’improvisations, elles se sont figées et égalisées dans un long fleuve tranquille sans qu’il n’y ait plus ce « tremblé » ou ces lignes de forces ou ces ruptures qui rendent active et vivante une forme. Il y a bien des effets de « réel » dans la parole, par la vitesse d’élocution, par quelques balbutiements, mais on n’entend que l’effet sans percevoir la vie. On trouve finalement ces discussions bavardes et verbeuses. Le seul moment, bien court, qui redonnera un peu de tenu à cette parole sera la déclamation par Shali d’un poème persan. C’est finalement le seul texte « écrit » qui vibre sur le plateau.
On ressentira même une certaine gêne lorsque des thématiques sociales seront abordées, parce que trop effleurées et surtout parce qu’elles semblent avoir été appropriées sans autre enjeu qu’en faire de la matière à spectacle, dans une économie parfaitement « hors sol. »
Il y a une sorte de paradoxe étrange à ce que ce spectacle construit autour de l’idée d’un collectif, d’une communauté à bâtir échoue justement à créer cette communauté d’un soir, celle de la représentation, pourtant au cœur de la représentation théâtrale. Car au-delà des discours, il y a des présences à assumer de part et d’autre de la scène.
© Tuong-Vi Nguyen
Vues Lumière ,concept et mise en scène d’Isabelle Lafon
Écriture collective et interprétation Marion Canelas, Karyll Elgrichi, Pierre-Félix Gravière, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon, Judith Périllat
Assistante à la mise en scène Marion Canelas
Stagiaire Ariane Laget
Lumières Marion Hewlett
Costumes Nelly Geyres
Du 10 mai au 5 juin 2019
Durée 1h30
La Colline
Théâtre national
15 rue Malte-Brun
Paris 75020
Réservation au +33 (0)1 44 62 52 52
www.colline.fr
comment closed