À l'affiche, Critiques // Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac, mise en scène de Christian Schiaretti, TNP Villeurbanne

Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac, mise en scène de Christian Schiaretti, TNP Villeurbanne

Mar 11, 2019 | Commentaires fermés sur Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac, mise en scène de Christian Schiaretti, TNP Villeurbanne

 

© Michel Cavalca

 

 

ƒƒƒ article de Solveig Deschamps

 

Roger Vitrac (1899-1952), auteur foutraque ? Dadaïste, surréaliste exclu du groupe en 1926, poète et dramaturge, il écrit Victor et les enfants au pouvoir qui sera créé le 24 décembre 1928 à la Comédie des Champs-Élysées dans une mise en scène d’Antonin Artaud, son ami, avec lequel il a fondé le Théâtre Alfred Jarry.

« Victor : J’ai neuf ans. Jusqu’ici, j’ai été un enfant modèle. Je n’ai rien fait de ce qu’on m’a défendu. »

C’est l’anniversaire de Victor Paumelle, il a 9 ans, 1m81, surdoué, ça va être la fête. Neuf ans, c’est un bel âge pour passer à l’âge d’homme, et enfin dire ce qu’on voit et que les adultes pensent qu’on ne comprend pas. Milieu bourgeois, adultères, mensonges, amour, patrie. Théâtre de vaudeville qui s’engouffre dans le drame en passant par le théâtre de l’absurde et le théâtre de la cruauté… porté par la parole de Victor… et la folie des adultes. Christian Schiaretti, metteur en scène et directeur du TNP depuis 2002, nous emporte dans le déluge de cette écriture qui n’a pas vieilli, d’autant qu’il situe l’action dans les années 1990, il aurait pu tout aussi bien transposer la pièce en 2019 mais l’identification aurait sans doute été trop sociétale, voire écœurante, trop proche…

Au sol, le plan de la maison des Paumelle sur lequel se trouve le mobilier design immaculé, tout est onéreusement à sa place, plan, sans aucun doute, réalisé par un architecte en vogue. Fanny Gamet, la scénographe, suggère, mine rien, le décor du drame qui va se jouer, le sol finira par se déstructurer, séisme… Les vases se brisent, les personnages s’affolent, deviennent fous.

« On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré »

Lili, la bonne, passe l’aspirateur, termine les préparatifs de la fête, elle est noire.

Victor fait son entrée, commence sa diatribe accusatrice, il s’adresse à Lili, n’est-elle pas la maîtresse de son père ? Il reçoit la première gifle, elles vont pleuvoir sur lui et sa petite camarade Esther, des gifles de théâtre, claquement de mains, comme si seuls les mots pouvaient faire mal. Il parle vite comme s’il avait peur de ne pas avoir le temps de tout dire, de tout casser. Les débris du vase de Sèvres qu’il éclate dès le début resteront sur le sol, comme si Victor était déjà dépassé par les événements qu’il va susciter, le chaos. Ses vêtements sont trop courts, il dépasse de partout, refus des adultes de le voir tel qu’il est. Ni trop, ni pas assez, mi-enfant mi-adulte, David Mambouch se glisse dans le personnage de Victor, devient la fondation de la maison qui s’écroule.

« Victor : Par contre, je n’ai jamais introduit mon doigt dans le derrière des petites filles… »

Arrive Esther Magneau (magnifique Corinne Martin, entre rires et larmes), la petite fille, amie de Victor, tout en rouge, l’innocence violentée, la tête pleine des mots qui la violent et la font rigoler et qu’elle ne comprend pas. Trop jeune pour prendre le pouvoir.

Et que la fête commence :  Lili la bonne, s’est revêtue de son plus beau boubou, les parents de Victor et la mère d’Esther font leur entrée, tout est en place pour continuer le drame, la grande farce, jusqu’aux entrées et sorties fracassantes d’Antoine (Yvan Hérisson, effrayant, entre rien et tout), père d’Esther, le fou de la fête, le cocu, le seul  adulte lucide… et tout se lézarde, le général réactionnaire débarque, plus on est de monstres plus on rit, les années Mitterrand, Maurice Papon, la guerre d’Algérie, saisissante transposition de Christian Schiaretti qui actualise le texte de Vitrac sans le dénaturer… Tout vole en éclat… surréalisme et loufoquerie, Ida Mortemart, la pétomane, personnage à la Ionesco, débarque comme un cheveu sur la soupe… Olivier Balazuc a un je ne sais quoi de Bernadette Laffont, dans sa succulente composition… Ajoutons à cela les costumes de Matthieu Trappler qui appuient le jeu d’acteurs puissants, justes… Chacun ayant une magnifique partition à défendre… Il me faut les citer tous… Olivier Borle et Clémence Longy (parents de Victor), Juliette Rizoud, tous les trois bourgeois à souhait… Safourata Kaboré (Lili) entre soumission et révolte, Philippe Dusigne (le général) horriblement répugnant… sans oublier l’apparition de Kenza Laala (Maria), une apparition pleine de fraîcheur et de jeunesse dans un monde monstrueux…

Christian Schiaretti nous régale, nous horrifie, nous réjouit deux heures durant.

Me revient à la mémoire, Marc Darnault, qui a créé le rôle de Victor dans la mise en scène d’Artaud, rencontré au Théâtre d’Évreux, il y interprétait, sans doute son dernier rôle, il avait 84 ans…

 

Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac

Scénographie Fanny Gamet
Son Laurent Dureux
Lumières Julia Grand
Costumes Mathieu Trappler
Maquillage et coiffure Françoise Chaumayrac
Conseil littéraire Guillaume Carron
Assistantes à la mise en scène Kenza Laala, Salomé Vieira

Avec  Olivier Balazuc, Olivier Borle, Philippe Dusigne, Ivan Hérisson, Safourata Kaboré, Kenza Laala, Clémence Longy, David Mambouch, Corinne Martin, Juliette Rizoud

 

Du 7 au 30 mars 2019 

Mardi, mercredi, vendredi, samedi 20h

Jeudi 19h30

Dimanche 15h30

Relâche le lundi

 

Durée 2h

 

Théâtre National Populaire

Grand théâtre, salle Roger-Planchon

8 Place Lazare-Goujon
69100 Villeurbanne

 

Réservations au 04 78 03 30 00

www.tnp-villeurbanne.com

 

Et également :

 

Vendredi 8 mars à 19h

Prélude « Subvertir la langue avec Vitrac »
La découverte d’une œuvre, de son auteur, de l’histoire sous une forme accessible à tous.

 

Lundi 11 mars à 18h30

Résonance « Victor, le cruel jeu surréaliste » 

Université Lumière Lyon 2, campus Berges du Rhône.

 

Disputatio
Jeudi 14 mars

A l’issue de la représentation. Un espace dans lequel chacun peut dire, entendre, questionner, objecter la lecture d’un spectacle animé par deux psychanalystes, membres de l’Association lacanienne internationale, Lyon.

 

Rencontre après le spectacle
Jeudi 21 mars

A l’issue de la représentation, vous êtes invités à rencontrer des membres de l’équipe artistique.

 

Théâtromôme : Atelier philosophique puis goûter
Dimanche 24 mars à 15h30

Pendant que les parents assistent au spectacle, les enfants sont accueillis dans un atelier en lien avec l’activité théâtrale.

 

Audiodescription

Les personnes malvoyantes ou non-voyantes peuvent suivre en direct la description du spectacle au moyen d’un casque à haute fréquence. La représentation est précédée d’une approche tactile du décor.
Pour bénéficier de ce dispositif d’accompagnement, il est nécessaire de se signaler lors de la réservation des places.

 

 

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