À l'affiche, Critiques // Victor F., texte et mise en scène de Laurent Gutmann au Théâtre de l’Aquarium

Victor F., texte et mise en scène de Laurent Gutmann au Théâtre de l’Aquarium

Jan 10, 2016 | Commentaires fermés sur Victor F., texte et mise en scène de Laurent Gutmann au Théâtre de l’Aquarium

ƒƒ article d’Anna Grahm

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© Pierre Grosbois

Il faut lâcher prise et se laisser envahir par l’étrange atmosphère qui se dégage du décor vert. Sur le plateau, Victor F., incarné par le malicieux Éric Petitjean, raconte sa jeunesse heureuse, décline sa généalogie à travers des tableaux. Si son récit captive, quelque chose de bancal affleure, cette obsession de faire revivre ces chers disparus, cette manie d’avoir conservé des échantillons de vie, feuille, animal empaillé, mèche de cheveux, intrigue. Mais Victor brillant étudiant en biologie devenu adulte poursuit son idée fixe : comprendre ce qui distingue la matière animée de l’inanimé, réparer, redonner la vie, concevoir un être qui ne connaîtra ni maladie, ni vieillesse, ni mort. Le jeune savant a rêvé de fabriquer un homme dont l’intelligence ne fera que s’accroître et un jour en secret il l’a fait.
En 1816, Mary Shelley, 19 ans, écrit le célèbre livre de science fiction, Frankenstein. Aujourd’hui sa fiction est presque devenue réalité, et la réalité qui prend corps, qui est en train de breveter, de régir le vivant, est en passe d’instrumentaliser l’être humain. Pour pouvoir penser ce savoir-faire, la mise en scène de Laurent Gutmann convoque la poésie, invite à se représenter ce qui échappe, cet emballement de la science, cet effacement de l’humain auquel nous assistons.
Victor est un apprenti sorcier, il tâtonne, plante son nez dans les étoiles et parle à la poussière. Si la naissance virtuelle de son nouvel Adam grossièrement masquée derrière une paroi de protection semble dérisoire et prête à sourire, son cheminement, souvent plongé dans le noir – à l’instar de sa plongée dans l’inconnu – permet de faire flamber l’imaginaire du spectateur. La force du spectacle c’est ce boitillement entre expérimentation hasardeuse et maitrise, c’est ce balbutiement entre tragique et loufoque, cette alternance entre une nature enchanteresse et les débuts du surhomme.
Alors que Victor fuit sa folle création et que la fiancée de Frankenstein plus sensuelle, plus exubérante et amoureuse que jamais, lui fait entrevoir une toute nouvelle vie, l’homme nouveau, le jouet qu’il a engendré le rattrape et l’épouvante. Et ce qui de prime abord était apparu enfantin, presqu’attendrissant devient, par son insistance, peu à peu effrayant. Car le personnage, mélange de chair et de plastique, avec ses yeux immobiles, son sourire figé et sa tête démesurée, marche, pense et revendique d’être reconnu.
Mais à chacune de ses apparitions, la peur qu’il suscite, ressurgit démultipliée. Et très vite, l’être hybride qui exigeait d’être semblable, qui voulait une famille, un cadre social, se désorganise, apprend du rejet, devient mauvais, violent, sans pitié.
Ici l’espérance du devenir de l’homme transformé en immortel se heurte à l’inquiétude de l’homme fragilisé, qui craint d’être dénaturé, qui ne sait pas intégrer les innovations qu’il a imaginé, qui se voit envahi, traqué, diminué, renversé, anéanti par ses propres avancées scientifiques.
Ainsi, fabriquée et repoussée du genre humain, la créature dont on se détourne, qui n’a pas d’identité, devient l’innommable, le monstre, le barbare. L’homme augmenté des fantasmes de son créateur, intégrant la violence de l’exclusion, passe à l’acte, pour poser les bases d’une autre société. Et c’est désormais dans ce monde sans limite, ni altérité, que celui qu’on juge dans une cage de verre, qui plaide sa responsabilité et s’accuse d’être le cerveau du tueur, se voit forcé de pactiser avec son prédateur.
Des acteurs savoureux, une scénographie surprenante, un curieux spectacle qui ouvre un large spectre de réflexions sur les avancées de notre civilisation et son ensauvagement, sur les bienfaits des progrès de la science et la défiance à l’égard du projet transhumaniste.

Victor F.
D’après le roman de Frankenstein de Mary Shelley
Texte et mise en scène Laurent Gutmann
Collaboration artistique Aurélien Desclozeaux
Scénographie Alexandre de Dardel
Lumières Yan Loric
Son Estelle Gotteland
Costumes Axel Aust
Maquillage et perruques Catherine Saint-Sever
Masque Alexis Kinebanyan – KFX studio

Avec Éric Petitjean, Cassandre Vittu de Kerraoul, Luc Schiltz, Serge Wolf

Du 5 au 24 janvier 2016
Du mardi au samedi à 20h30
Le dimanche à 16 h

Théâtre de l’Aquarium
Route du champ de Manœuvre – 75012 paris
Métro Château de Vincennes
Réservation 01 43 74 72 74
www.theatredelaquarium.com

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