ƒƒ article de Denis Sanglard

Crédit photo Phile Deprez

Troublant. Victor, chorégraphie pour un adulte et un enfant, est une partition d’une magnifique sensibilité, une confrontation initiatique délicate et pudique. C’est une traversée troublante oui mais sans ambiguïté, où le corps d’un adolescent au sortir de l’enfance défie le corps d’un adulte. Ces deux corps qui s’affrontent jusqu’à parfois se confondre, se dissoudre l’un en l’autre dans l’étreinte offrent un moment rare de douce complicité.

Il existe entre ces deux-là quelque chose qui transcende la danse. Une concentration et une attention à l’autre qui bouscule les rapports ordinaires entre adultes et enfants, et de fait bouscule aussi la danse et son rapport au corps. C’est un pas de deux qui dans son épure, son abstraction, nous renverse parce que les corps, dans leurs différences anatomiques – l’un promesse de l’autre – sont mis en avant sans artifice aucun. Il ne s’agit en aucun cas de singer l’adulte mais d’être au même niveau avec ce corps, ces muscles, cette ossature propre à l’adolescence. Jouer et danser de/avec cette différence. Cette différence-là est au cœur de ce duo d’une grande délicatesse. Un corps en devenir, adulte miniature au regard d’un corps formé, ouvre un champ infini d’interprétations qui émeut. Il y a une décontraction chez Victor, au regard de la tension et de la concentration de son partenaire, une maladresse – toute relative – et une confiance absolue en l’autre. Une complicité heureuse qui les relie dans ce face à face singulier. Un même souffle comme celui qui ouvre la danse. Une main saisie, serrée, une épaule happée à laquelle on s’agrippe, bouleverse par ce qu’elle implique de confiance en l’autre avant que ce simple geste ne se retourne en gifle, en coup de poing rageur et taquin. C’est aussi tester et provoquer tout à la fois. Provocation qui fait aussi de cette rencontre une confrontation où Viktor défie et domine son partenaire. Combat singulier où se mesurer à l’autre ne va pas sans violence amicale. C’est entrer par effraction dans le monde adulte, guidé, porté par celui-ci. Lequel s’efface pour laisser la place à cet adulte qui surgit et surprend parfois au détour d’un mouvement. Cet adulte en devenir. C’est bien le sens de cette magnifique dernière image qui clôt cette création commencée par un souffle commun. Les rôles s’inversent, les pôles changent. Rien de compliqué dans cette danse, ce corps à corps, que des actions relativement simples. Ce qui se joue est dans la différence organique, musculaire. L’appréhension, l’approche de l’autre. Les rapports de forces et d’énergie qui basculent, s’échangent. Un drôle d’effet miroir où l’enfance meurt pour que surgisse l’adulte. Reste aussi le souvenir de la bouille et du sourire lumineux de Viktor, trace d’une enfance en partance.

Victor
De Jan Martens et Peter Seynaeve
Technique Bart Huybrechts et Anne Meeusen
Musique www.gospodi.be
Avec Viktor Caudron et Steven Michel

Du 7 au 10 février 2015 à 19h30
Dimanche 8 février à 15h

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette – 75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

Be Sociable, Share!

•