À l'affiche, Critiques // Vera de Petr Zelenka mise en scène d’Élise Vigier & Marcial Di Fonzo Bo, Théâtre des Abbesses

Vera de Petr Zelenka mise en scène d’Élise Vigier & Marcial Di Fonzo Bo, Théâtre des Abbesses

Mar 27, 2017 | Commentaires fermés sur Vera de Petr Zelenka mise en scène d’Élise Vigier & Marcial Di Fonzo Bo, Théâtre des Abbesses

ƒƒ article de Corinne François-Denève

VERA de Peter Zelenka Mise en scène: Elise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo. Avec: Karin Viard, Héléna Noguerra, Lou Valentini, Rodolfo de Souza, Marcial Di Fonzo Bo, Pierre Maillet. Scénographie: Marc Lainé et Stephan Zimmerli. Lumières: Bruno Marsol. Costumes: Anne Schott. Perruques: Cécile Kretschmar. Comédie de Caen/Théâtre d'Hérouville 22 04 2016 ©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

Dans la Tchéquie communiste, la petite Véra grandit avec une rage dans le cœur. Son père, chercheur, semble se satisfaire de sa médiocrité. Quand souffle sur le pays le vent du libéralisme, Véra le respire à plein nez. Elle décide de se convertir à la nouvelle religion du capitalisme, ouvre une agence de casting, devient vite (très) riche. Juchée sur des talons aiguilles, mais la tête toujours ceinte de tresses blondes façon Ioulia Tymochenko, la nouvelle « self-made woman » n’a pas de temps à perdre en sensibleries inutiles : elle organise efficacement l’accompagnement de fin de vie de son père, s’occupe avec vigueur de son mari, paralysé à partir du bas-ventre par une mystérieuse maladie, remet sur pied les comédiens camés à l’égo fragile ou, quand elle y a échoué, va reconnaître leurs cadavres suicidés à la morgue. Véra a réussi, est devenue un gros poisson – mais des requins plus féroces encore la guettent au tournant.

Dans sa version originale, la pièce de Petr Zelenka a pour titre Job Interviews – un titre « globish » parfaitement en phase avec le propos de la fable. Dans sa traduction française, et son adaptation par Pierre Notte, la pièce devient « Vera » et se recentre donc sur son héroïne. « Vera », en dépit de son nom, n’a que faire de la vérité, de la franchise. Elle leur préfère l’hypocrisie, l’artifice. Ce conte, narrant la grandeur et la décadence d’une petite Tchèque sans provisions, est ouvertement « théâtralisé » par le duo Vigier/Di Fonzo Bo : les tableaux s’enchaînent dans un tourbillon échevelé de parois qui bougent, d’écrans et de draps qui s’envolent, pour former, à un rythme tourbillonnant, des tableaux changeants – un studio photo à la Pierre et Gilles, un colombarium, une plage mélancolique, un dancing branché. Le début de la pièce convoque le cinéma, avec son générique à la Saul Bass, sa musique hitchcockienne. La fin retrouve l’artifice essentiel du théâtre, escamotant ses personnages en les emmenant loin d’un happy ou unhappy end par trop convenu.

On regarde sans ennui les prouesses de la scéno’, et des comédiens, qui interprètent des rôles divers – Karin Viard incarne la seule Vera – elle est pendant deux heures en scène. Il y a des moments chantés non désagréables, on suit le fil plaisant d’une pièce qui n’est pas déplaisante ; certaines images sont de vraies trouvailles ; souvent, toutefois, tant de vibrionnage crispe un peu – on aimerait mieux entendre l’édifiante histoire de Vera, pouvoir la poser quelque part dans un coin de sa tête. Tel ne semble pas être l’envie des metteurs en scène, qui « montent » leur pièce tel le premier cinéma, anticonformiste, drôle et social de  Miloš Forman – un Forman qui aurait entretemps croisé Alfredo Arias.

Il est peu de dire que la pièce doit tout entière sa réussite à ses acteurs, et surtout à ses actrices. Helena Noguerra compose une galerie de personnages féminins redoutables. Karin Viard incarne Vera avec la gourmandise et la férocité qu’on lui connaît. Actrice « populaire », au meilleur sens du terme, elle confère à son personnage une aura de sympathie inattendue. Tandis qu’elle joue, tour à tour odieuse et pathétique, insupportable et terriblement touchante, défilent sur les écrans les images d’elle enfant, adolescente, jeune femme – ravissante à croquer, blonde aux pommes, mystérieuse et romantique jeune première, radieuse vingtenaire au sourire mutin. Par elle, Vera s’épaissit d’un passé qui resterait, sinon, demeurerait inconnu au spectateur, et on comprend mieux la rage haineuse de Vera à réussir, au besoin en écrasant les autres – le désir de se rendre maîtresse de son bonheur, après des années d’asphyxie en apparence heureuses, à Prague ou à Rouen. Vera présente donc, grâce à Karin Viard, un magnifique portrait de femme.

 

Vera, de Petr Zelenka
traduit du tchèque par Alena Sluneckova
version pour la scène Pierre Notte
mise en scène Élise Vigier & Marcial Di Fonzo Bo, assistés d’Alexis Lameda
décor Marc Lainé, Stephan Zimmerli
costumes Anne Schotte
maquillage & perruques Cécile Kretschmar
images Nicolas Mesdom, Romain Tanguy, Quentin Vigier
décor construit par les ateliers de la Comédie de Caen

avec Karin Viard, Helena Noguerra, Lou Valentini, Pierre Maillet, Marcial Di Fonzo Bo, Rodolfo De Souza

du 23 mars au 8 avril à 20 h 30, le dimanche à 15 h, relâche le lundi 27 et le dimanche 2.
durée : 2 h

Théâtre des Abbesses
31 rue des abbesses
75018 PARIS
Location 01.42.74.22.77

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