© Vladimir Vatsev
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Dans Vent Fort, huit clos funéraire signé Jon Fosse, un homme presque immobile attend dans un coin, flottant et incertain, travaillé d’un mal être profond. Il mettra une heure et vingt minutes à traverser l’espace vers une fenêtre grande ouverte, aspiré dans le bourbier de son esprit qui tourne à vide, une figure à la Hopper en gris et blanc qui évolue dans un intérieur à la Hammershøi sur les sables mouvants d’un tambourinement intime.
On ne saura jamais si le drame est imminent, a déjà eu lieu, s’il s’agit d’un fantasme ou du dernier rappel des événements importants de la vie juste avant de mourir. Trois personnages (le narrateur et mari, la femme et l’amant) sont coupés de toute temporalité et leur histoire n’a aucune importance. On apprend que le narrateur sans nom (le fantôme ?) revient d’une longue absence pour constater qu’il n’a plus sa place au sein de son foyer. Les rapports humains se dérobent, le réel devient mouvant, parfois menaçant comme dans les cauchemars. Est-ce une projection de l’enfer mental de l’homme ou la réalité ?
La belle scénographie sans murs de Margaux Nessi nous fait traverser les frontières du réel, accéder à l’espace du dedans, l’intérieur de la maison. On dirait un Soulages aux contours floutés de chagrin, de mémoire et de réminiscence. La brume y est omniprésente (un peu trop systématique). La vraie réussite de ce spectacle tient dans l’interprétation de Thomas Landbo, sur une partition hermétique à la musique entêtante. Nous le suivons jusqu’à l’étourdissement, il prend la lumière, chaque phrase prononcée semble se déposer dans l’espace et lester sa silhouette d’un bourbier de mots et de phrases entortillées. Dommage que Gabriel Dufay ait intégré au spectacle de pâles séquences chorégraphiées du couple (la femme et l’amant), bien fades par rapport à l’épopée psychique de l’homme. Yuriy Zavalnyouk et Léonore Zurflüh manquent du coup de simplicité dans leur jeu.
L’écriture de Jon fosse, scandée de silences oppressants, jongle avec les abstractions, les réitérations obsédantes, les regards, les secrets, les non-dits, les lentes montées en tension et une sombre atmosphère à l’angoisse diffuse.
La mise en scène à la poésie macabre de Gabriel Dufay, malgré des effets un peu faciles, déstabilise le public, joue avec ses repères jusqu’au vertige. On croit que le temps passe, mensonge ! C’est nous qui passons. Le temps est une invention pour nous permettre d’accepter la mort, le temps c’est nous. Les histoires de fantômes sont souvent les plus tristes.
© Vladimir Vatsev
Vent fort de Jon Fosse, traduction de Marianne Ségol-Samoy ( ed. L’Arche)
Mise en scène : Gabriel Dufay
Scénographie : Margaux Nessi
Chorégraphie : Kaori Ito
Vidéo : Vladimir Vatsev
Lumières : Sébastien Lemarchand
Costumes : Aude Desigaux
Son : Bernard Vallery
Avec : Alessandre Domenici, Thomas Landbo, Yuriy Zavalnyouk, Léonore Zurflüh
Durée 1h20
Théâtre des 2 Rives
107 rue de Paris
94 220 Charenton -Le -Pont
Réservation : 01 46 76 47 32
Tournée :
20 au 22 mars 2025 au TJP Grande Scène, Strasbourg
Le 29 avril 2025 au Théâtre de Chartres
Deux semaines en octobre 2025 à l’Échangeur – Théâtre de Bagnolet
Vent fort de Jon Fosse, est publié par L’Arche
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