Critiques // Variations amoureuses, texte et mise en scène de Carole Thibaut à la MC93

Variations amoureuses, texte et mise en scène de Carole Thibaut à la MC93

Oct 18, 2019 | Commentaires fermés sur Variations amoureuses, texte et mise en scène de Carole Thibaut à la MC93

 

© Matthieu Dussol

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Certains éclats de rire ne trompent pas. Certains jeux sont vérités. Quand, sur cet étroit chemin labyrinthique et surélevé, traversant de part en part le public assis en léger contrebas sur de petits tabourets, les trois comédiens jouent à se poursuivre, se surprendre et se chatouiller en se saisissant la taille au son d’une lointaine comptine, nous sommes cueillis de suite : car ce rire n’est pas de commande, cette espièglerie n’est pas fabriquée, rien n’étant plus insupportable que des adultes singeant l’enfance, et ce feu de joie brulant au milieu d’un public en pleine adolescence ou en pleine maturité nous emporte et nous convoque dans ce que chacun a de plus profond : cette enfance plus ou moins oubliée, ce jardin secret plus ou moins perdu, ce for intérieur irréductible à chacun. La justesse des comédiens nous intime alors la même justesse d’écoute, profondément reliée et concernée.

Dans cette chose aussi simple (jouer et rire sans tricher), il y a un art infini : celui de la vie inimitable. C’est aux trois comédiens (Vanessa Amaral, Yann Mercier, Marie Rousselle-Olivier) qu’il convient sans plus attendre de rendre grâce pour leur qualité de présence tout au long de ces Variations amoureuses, une densité vibrante à fleur de peau. Les remercier pour leur partage d’un texte joué et remis en jeu dans l’émotion si rare et subtile de la première fois, pour leur confiance dans leur dénuement, dans le silence simplement déchiré par l’écho d’un mot ou d’un regard, se diffractant dans cette communauté de cœurs que l’on nomme théâtre. Des mots jetés comme des cailloux dans l’eau provoquant ces ondes d’émotions dans le cœur d’une assemblée, des mots bâtisseurs d’une éthique courant de l’intime au politique.

Sur ce chemin de crête, ces trois-là nous apparaissent accomplissant cet exploit : s’émouvoir et se donner à voir sans narcissisme aucun, acrobates de l’émotion, perchés dans le vide au-dessus de nos têtes, sans filet, ballotés par ces vents contraires que l’on nommera simplement sentiments amoureux, que nous avons pu connaître, et qui ne sont jamais loin de réapparaître.

Carole Thibaut a composé ces variations amoureuses comme une variation contemporaine – librement inspirée – de l’œuvre de Musset : On ne badine pas avec l’amour. On reconnaîtra certains fragments que Musset avait lui-même piochés dans des lettres de George Sand, mais surtout on reconnaîtra notre époque, et ce que cette époque peut imposer de contrainte et de violence dans la fabrication de sa jeunesse. Carole Thibaut relie avec une vraie justesse le péril incroyable que représentent l’apparition des premiers sentiments amoureux pour un jeune être, et cette entreprise encore plus périlleuse : être soi-même dans une société où les genres sexuels assignent chacun à un rôle générique et caricatural.

La réussite la plus bouleversante de ce texte et de sa mise en scène est sans conteste de pouvoir réunir, comme de deux rives opposées, deux générations humaines, se projetant dans un avenir ou dans un passé (c’est selon), et se rejoignant sur ce chemin de ronde, ce petit pont entre deux âges opposés, dans le partage d’un trouble indéfinissable. Il y a même une beauté inénarrable à observer ceux de l’autre rive – ces jeunes adolescents, en ce qui nous concerne – touchés dans leur pudeur par l’expression et la représentation de ces désordres amoureux. Et une non moins émouvante beauté à voir sur notre rive ces visages ridés, absorbés dans l’effort et l’émotion du voyage rétrospectif.

La revue Vacarme dans sa livraison estivale rappelle que « c’est la puissance du désir qui fonde l’éthique comme la politique » et plus loin encore que « l’acte politique comme acte éthique consiste à suivre son propre désir » (texte collectif de V. Casanova, G. Lutz, S. Rabau, L. Vermeersch, S. Wahnich). Les personnages de ces Variations amoureuses ne nous disent pas autre chose lorsque dans un magistral et vertigineux prolongement dramaturgique Carole Thibaut les fait glisser des faux-semblants et errements des premiers amours jusqu’à l’échec collectif de notre vivre ensemble : le chemin de ronde du trio de nos premières amours se muant en rond-point de cette colère née d’une société injuste.

Débordement de l’intime dans le politique… Injonction au désir, à sa loi profonde, qui seule nourrit un engagement à l’autre, qui seul convie à s’engager sans faillir pour les autres. Variations amoureuses épousent merveilleusement les oscillations de nos cœurs en ces temps troublés !

 

 

Variations amoureuses, texte et mise en scène de Carole Thibaut

Avec Vanessa Amaral, Yann Mercier, Marie Rousselle-Olivier

Voix de la femme Valérie Schwarcz

Assistanat à la mise en scène Fanny Zeller, Valérie Schwarcz, Hélène Seretti et Japhet Quillin-Stettler

Régie Guilhèm Barral

Scénographie Camille Allain-Dulondel

Création lumière Yoann Tivoli

Création sonore Margaux Robin costumes Séverine Yvernault

Régie générale Sophie Barraud

Construction décor et lumières Sophie Barraud, Jean-Jacques Mielczarek, Dominique Néollier, Nicolas Nore

 

Durée 1 h 20

Du 9 au 11 octobre 2019

 

 

MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis

9 boulevard Lénine

93000 Bobigny

 

Réservation +33 (0)1 41 60 72 72

www.mc93.com

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed