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Vaincre à Rome de Sylvain Coher, mise en scène de Thierry Falvisaner à la Manufacture d’Avignon Festival Off

Juin 25, 2023 | Commentaires fermés sur Vaincre à Rome de Sylvain Coher, mise en scène de Thierry Falvisaner à la Manufacture d’Avignon Festival Off

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

Vaincre à Rome relate ce jour mémorable du 10 septembre 1960, ou, à Rome, Abebe Bikila remporta le marathon olympique en deux heures, quinze minutes et seize secondes, explosant le record mondial. Plus de vingt ans après la prise d’Addis-Abeba par Mussolini, l’athlète éthiopien, inconnu du grand public, courut les quarante-deux kilomètres pieds nus et frais comme un gardon, coiffa au poteau ses compagnons d’infortune qui tombaient comme des mouches. « Vaincre à Rome, ce serait comme vaincre mille fois », avait dit Hailé Sélassié. L’Afrique noire remporta pour la première fois l’or olympique dans un contexte de décolonisation généralisée.

Sylvain Coher conjugue grande et petite histoire dans un récit choral porté par l’épouse du champion Yewebdar et son coach suédois, Onni Niskannen qu’Abebe appellait papa. Nous sommes simultanément en Ethiopie et en Italie à Addis Abeba et à Rome ou un journaliste sportif commente la course depuis sa préparation jusqu’à la ligne d’arrivée avec la remontée progressive et le sprint final. Dans le rôle-titre le comédien danseur Timothé Ballo synchronise chaque foulée sur la pulsation vitale de la batterie ; les ligaments s’étirent, la douleur irradie le mollet avec les crampes comme des crabes. Il a 1000 ans tout à coup Abébé qui valse sur la voie Apienne près de l’arc de Constantin, là où les empereurs déposaient leurs ennemis. L’homme panthère capable de courir du coucher au lever du soleil danse sa course sur les pavés antiques, hanche, genou, chevilles, droite, gauche, droite.

Un faisceau lumineux glisse de la maison familiale ou veille Yewebdar à la console du speaker en passant par l’asphalte jaune puis rouge du sang des damnés. Quand la batterie infernale donne le la au coureur dans la nuit romaine, le corps fragile vacille ; on devine les flambeaux des soldats italiens sur le chemin de croix « par-là, par-là », avanti, droite, gauche, droite, la scène prend des allures d’incendies.

« Cours Abébé, cours » te souviens-tu de Jesse Owens, le noir américain qui fit sensation aux jeux de Berlin en 1936, en remportant quatre médailles d’or dans un stade où flottaient les drapeaux nazis, sans que son président ne daigne lui transmettre un message de félicitation ; et Emile Zatopek le prolétaire le plus rapide du monde à l’époque, la locomotive tchèque à la foulée désarticulée, relégué dans les mines d’uranium après le printemps de Prague, l’as-tu oublié ?

A quoi rêvais-tu, Abébé, pendant ces deux heures, quinze minutes et seize secondes ou tu devins un mythe ? Tu cachais à tous ta douleur « courir caché » t’avais dit papa et ta dernière course te fut fatale à 40 ans, sous la carcasse de ta voiture. Coureurs ou pas, ce spectacle vous touchera par son universalité, sa beauté, sa simplicité, un récit épique porté par la musique, la danse et des comédiens à l’unisson, les marathoniens sont des princes !