© Éric Schoenzetter
fff article de Denis Sanglard
« L’amour c’est du pipeau, c’est bon pour les gogos ! » chante Brigitte Fontaine. Deux hommes de cinquante ans, Pierre Notte et Benoit Giros, ne veulent plus d’amour. Trop de blessures, de ratés et de solitude à deux. Du sexe, rien que du cul ! Oui, mais à leur âge, homo de surcroît, ça ne va jamais de soi et n’ira certes pas en s’arrangeant. Tombant l’un sur l’autre par le mensonge d’une application de rencontre, ça commence plutôt mal. Ne cessant ensuite de se fuir pour mieux se retrouver, autant au final baiser ensemble que séparément, où ensemble et séparément, multiplier les expériences hardcore et tenter de s’adapter aux outils contemporains du sexe. De backroom en rencontres tarifées, de fuites en avant en échecs lamentables, de recettes de cuisines en aubergines dans le fondement, de film porno en réseaux sociaux, leur histoire sous viagra qui se voudrait de cul finit par bander mou. Il suffit parfois de rien, d’une tarte à l’oignon, pour que s’immisce le grain de sable qui lentement grippe les plus radicales des intentions. Au final écartelés par des sentiments contradictoires, ce « je te baise moi non plus » finit étrangement par ressembler à un grand cri d’amour.
Personnages pathétiques, et lucides jusque dans leur mauvaise foi et mensonges, ces deux-là qui ne s’aiment pas, vivant dans la peur de n’être personne pour personne, au fil du temps construisent ce qu’ils ne cessent vouloir furieusement débâtir à coup de bites, de poppers et de chablis, un attachement profond dans une liberté absolu. Le cul devient plus que du cul mais un espace grand ouvert où l’autre te met salement à nu, au sens propre comme au figuré. L’amour ainsi monté à cru, débarrassé de toute lubie imbécile d’être inconditionnelle, de vernis social et culturelle, à la vie à la mort et pour toujours ainsi-soit-il, peut alors prendre sa juste place dénoyauté de tout mensonge.
Jubilatoire texte de Pierre Notte et non moins jubilatoire mise en scène de Benoit Giros. Ces deux-là, également acteurs dans cette affaire, font la paire et sont comme cul et chemise dans cette histoire dégueulasse et merveilleuse. Un texte audacieusement cru, défiant joyeusement la censure et la morale hétéronormées, et comme toujours avec cet auteur, une écriture tranchante, grinçante qui gratte sévère, au rythme tachycardique d’une foutre partie de jambes en l’air. Là, franchement, Pierre Notte n’y va pas avec des pincettes. En toute raison, pour un récit aussi singulier, aussi trash, aussi éjaculatoire, il faut bien enfoncer le clou, et profond. Une bite est une bite, point et ne filons pas les métaphores absconses. Et même pas peur jusque dans la mise en abyme lamentable de soi. Texte lucide et sincère d’un écorché, sur un sujet jamais abordé, celui des amours chez les homos cinquantenaires. Avec cet humour queer vachard, cette autodérision identitaire et salutaire. C’est hilarant, c’est à pleurer aussi. C’est une farce et c’est tragique. Pierre Notte détoure son sujet avec une allègre et féroce cruauté sardonique, sans complaisance aucune. Benoît Giros prend ce texte par les couilles et sans contrefaçon y va lui aussi franco et la mise en scène bande dur et sans molesse. Pourtant pas de gros sabots mais une mise en scène subtile et efficace, n’hésitant pas entre le mot et la chose, prenant l’un et l’autre avec force, toujours avec justesse jusque dans le trash le plus hard, le plus érectile. Pas de pudibonderie ici, pas de tabou, et tout ça passe fissa comme avec de la vaseline parce qu’il y a une telle sincérité, une foncière honnêteté dans ce que ces deux-là proposent que toute prévention tombe naturellement. Et qu’au-delà de l’image et du texte qui ne cherche jamais la provocation, sourd une vérité plus douloureuse dans cette quête acharnée et têtue d’une sexualité et d’une jouissance sans entrave qui masque si peu une vie de solitude et d’amours contrariées.
Pas prêt d’oublier ici la recette de la tarte à l’oignon, laquelle nous sera servie après la représentation. Sans doute l’expression la plus pure du désir jamais entendu au théâtre… Ni la scène finale qui pourrait verser dans la vulgarité absolue mais qui est d’une telle profondeur, dans ce qui se dit là, brutalement, parmi les aubergines, que le rire s’étrangle et que l’émotion vous cravache sévère. Benoit Giros et Pierre Notte sont plus qu’excellents qui ne s’épargnent pas dans cette partition à risque, ce miroir tendu vers eux-mêmes et si peu flatteur. On est bluffé par leur totale implication, leur impudeur, leur fragilité, leur jouissance masochiste dans cette mise en danger, cette mise à nu à jeter en avant leur corps dans la bataille. Une mise en danger que souligne la mise en scène, ici on se blesse, on se cogne, on glisse sur les fruits pourris, on marche sur du verre, on se péte le frein… Ça saigne et les verres brisés ne sont que la métaphore de leurs écorchures que les pansements (il y en a beaucoup) ne suffisent pas à soigner, le mal étant plus profond. Benoit Giros et Pierre Notte signe un véritable hymne à l’amour, le vrai, celui débarrassé de toute contingence. Et de cette histoire de sexe qui n’a de dégueulasse que le regard que nous pourrions lui porter surgit malgré tout un putain sentiment de vie ! et ça, c’est merveilleux.
© Éric Schoenzetter
Une merveilleuse histoire de sexe dégueulasse, texte de Pierre Notte
Mise en scène : Benoit Giros
Avec Benoit Giros et Pierre Notte
Costumes Sarah Leterrier
Lumières : Natacha Raber
Musiques : Pierre Notte
Régisseur général : Éric Schoenzetter
Accompagnement chorégraphiques : Alexandra Gilbert
Du 20 novembre au 22 décembre 2023
Les mercredis et vendredis à 21h et les dimanches à 18h
Théâtre de la Reine Blanche
2bis passage ruelle
75018 Paris
Réservations : 01 40 05 06 96
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