À l'affiche, Critiques // Une maison de poupée, librement inspiré d’Henrik Ibsen, mise en scène de Lorraine de Sagazan – La Brèche, au Monfort Théâtre

Une maison de poupée, librement inspiré d’Henrik Ibsen, mise en scène de Lorraine de Sagazan – La Brèche, au Monfort Théâtre

Sep 25, 2018 | Commentaires fermés sur Une maison de poupée, librement inspiré d’Henrik Ibsen, mise en scène de Lorraine de Sagazan – La Brèche, au Monfort Théâtre

© Vincent Arbelet

 

Article de Corinne François-Denève

 

Une soirée perdue (poème librement inspiré de Musset)

Nous étions bien nombreux, au Théâtre Monfort,
Ah oui, vraiment nombreux ; l’auteur fait toujours fort
C’était bien sûr Ibsen, et il le faut savoir,

Que ce grand maladroit, qui fit un jour Nora

N’a pas lu son Cixous, son Butler, son Beauvoir.
Des femmes il ne sait rien, et ça rien n’y fera.

(Décrochage numéro 1 : de la déconstruction)

Alors on dirait qu’on allait transposer Une maison de poupée au XXIe siècle. (Maison de poupée ? T’es sûr.e ? Parce que c’est quand même une pièce problématique ; féministe, pas féministe, mais qui dit des choses sur le féminin qui sont nuanc… OK, d’accord, pardon, continue). Oui donc, on va monter Une maison de poupée moderne. (C’est marrant que tu dises moderne, elle est moderne, en un sens, hein, et… oui vas-y, excuse-moi, je t’interromps, je fais, hi, hi du womansplaining hi hi. Pardon, non excuse-moi, je rigole, c’est con, je fais des blagues, pardon, donc tu disais ?). L’idée ce serait que donc Nora travaille, elle a un super job, tu vois, elle dirige plein d’hommes, et du coup Torvald il reste à la maison, il fait la cuisine, il élève les gosses, il va au jardin partagé, il joue de la guitare électrique. (Ah c’est super ça ouais, girl power, et le mec il le vit bien, et ça fait scandinave moderne c’est rigolo). Ah ben non en fait il le vit pas très bien, enfin on se fout un peu de lui, il se tourne souvent vers le public, c’est un personnage un peu falot et grotesque (Ah mais… ? non vas-y. Et Nora, alors ?) Ben elle est assistante juridique, tu vois, elle hait le mensonge. Elle est contente d’en être arrivée là et à un moment elle hurle un truc genre : « PUTAIN SA MERE LA PUTE ILS ME SUCENT TOUS LA CHATTE ». (Ah ? ah. Oui, j’ai connu des femmes managers qui faisaient ça dans leur bureau tous les matins chez Andersen Consulting ça met à l’aise pour la journée) Et alors mais hein justement c’est à Torvald qu’elle doit son poste, il est intervenu, pis en fait, avant, avec les grossesses, les contrats précaires, elle allait pas bien, et Torvald il a piqué du fric pour l’emmener et la sauver du burn-out, tu vois on retrouve l’intrigue un peu naze d’Ibsen, c’est malin, mais c’est transposé, le précaire, le burn-out, la vie familiale et professionnelle des femmes (Ah, mais euh, Nora au XXIe siècle, elle a quoi, trente ans ? Elle sort d’HEC ? Elle prend pas la pilule ? Elle veut pas faire congeler ses ovocytes ? Si c’est une career woman, pourquoi elle a fait ses gosses avant ? Ah, le bonheur, la réussite, en fait, c’est pas la même chose, mais c’est pareil, et… Et donc elle est un peu career woman, mais aussi un peu dépressive ? Ben note, ça, oui, c’est possible.  Et pis elle est career woman mais elle doit son poste à son mec ? ah ouais, c’est euh, enfin, c’est osé…) Non mais en fait essaie de comprendre, tu vois, faut pas que ce soit binaire,  le binaire, c’est nul, comme le bifrontal ou le bifidus, la pièce – on dit plus pièce – met aussi en évidence que le féminisme, c’est pas encore ça, tu vois, qu’il y a encore une domination masculine, et d’ailleurs, tu vois, dans la tirade finale de Nora, je vais intégrer un truc sur les dominés, ça passera crème. (Ok. Ah c’est marrant je vois que t’as gardé aussi le côté paternaliste de Thorvald qui aime pas que sa femme soit ambitieuse, et qu’elle dise des mots vulgaires, et le fait qu’il dicte son choix de vêtements, et…) Ouais, ben c’est pour montrer que c’est pas évident de nos jours hein. Et alors au début y’aura un prologue – on dit plus prologue, hein – un peu comme les éditoriaux de Elle, qui dit que les femmes d’aujourd’hui elles doivent être des mamans parfaites le jour et des putes la nuit. (Ah ? OK. Comme chez Sardou. Michel Sardou. Non, rien, continue). Et pis dans la pièce en intermède tu vois on va projeter des phrases de Virginia Woolf qui dit que chez les auteurs masculins la femme est toujours battue et jetée dans une chambre (Euh oui mais chez Ibsen c’est un peu euh différent non ? C’est pas Strindberg et…) Attends, tu critiques Woolf ? (Non, je dis qu’elle parle pas d’Ibsen et que c’est un peu caricatural et…) Eh c’est bon OK j’adore Woolf je mets du Woolf. (Ah non mais j’adore Woolf, surtout Une Chambre à soi mais je… non, OK, et donc la fin tu fais quoi ? elle se barre, ou ?) Alors en fait elle va rester prostrée, on sait pas, et le texte de la pièce il défile sur un écran et on entend que le bruit de la fourchette de Thorvald qui bouffe des carottes râpées et pis là bruit boum, noir. (Ah ouais cool, écoute, au moins c’est vegan).

 

(Décrochage n°2 proposition dramaturgique)

Or donques il s’agit de récrire Ibsen. Au début on prend le livre, on lit la distribution, ça fait rire le public même, la distribution d’Ibsen. Et alors l’alouette qui dépense à Noël… C’est d’un ringard. Pour bien faire comprendre qu’on a pété le patriarcat on va péter aussi la disposition classique. On est en trifrontal, les acteurs sont sur scène ou dans le public. Y’aura des costumes en strass, yahou c’est Noël, et le petit short de l’actrice, pour du trifrontal, c’est garant d’un spectacle bien familial. Y’aura pas non plus beaucoup de direction d’acteurs, c’est ringard, comme la diction. On parle en se chevauchant, mais quand ça chevauche pas, c’est souvent inaudible. Il faut crier aussi, parce que c’est quand même une pièce fondée sur un conflit et quand il y a un conflit, on crie, en plus ça fait du bien, ça réveille le spectateur, la spectatrice, ça le.la surprend. La mort du docteur c’est quand même aussi un peu une tragédie, donc il va se foutre torse nu, et se vider une bouteille de champ’ sur la tête, c’est un signal clair qu’il est en phrase terminale – ça se voit tous les jours dans les EPHAD ou dans les services de soins palliatifs. La Christine de la pièce initiale ce sera une pauvresse bougresse qui pousse des rires hystériques, de toute façon on n’a jamais compris ce qu’elle foutait là, un soir de Noël en plus. Elle peut pas appeler avant ? Elle débarque comme ça, la bouseuse ? Elle a pas de forfait Sosh ? De même le comptable qui fait son chantage ben il débarque avec sa polaire, il aurait pu envoyer un mail, appeler, mais il a dû perdre son Nokia dans la toundra. Ah ben non la toundra c’est au pays de Tchekhov, d’ailleurs c’est quand qu’on fait les Six sœurs ? Y’a des trucs ringards qu’on va laisser de côté : quand Nora doit s’habiller en « fille de pêcheur napolitain, c’est-à-dire en pute » (Gné ? WTF ? Pardon aux filles de pêcheurs napolitains, l’Italie, la sensualité, la tarentelle, etc. ). Ah et la tarentelle, non, hein, ce sera une transe techno avec effets d’éclairages genre Metropolis Georgio Moroder, c’est bon, on a de la culture quand même.

 

(Décrochage n° 3. De l’exercice critique)

Voilà voilà. A vous de juger. (Mais nous, la vieille aigrie universitaire critique frigide dramaturge ratée logocentrée qui a pas encore compris la mort du personnage, le post-postdramatique, le collectif, l’écriture de plateau, l’impro… on n’a en effet rien compris à la proposition. Le théâtre c’est ceci et cela, ça on veut bien, merci Laurent T. Mais enfin on ne comprend surtout pas quand on ne comprend rien, qu’il n’y a pas de propos construit, que c’est du grand n’importe quoi, mal écrit, mal joué, sans intention, qu’on assassine Ibsen pour assassiner Ibsen, qui ne méritait pas ça, en prenant la plus mauvaise traduction qui soit. Si on veut dire quelque chose sur les femmes aujourd’hui, sur Ibsen aujourd’hui, il vaut sans doute mieux prendre une pièce qui s’y prête mieux, pas une pièce ambiguë, qu’on décide de ne pas comprendre. Ou alors il vaut mieux écrire ailleurs, autre chose. Ou alors juste écrire). Mais encore une fois, allez-y pour voir. It’s a free country. Det er et fritt land.

© Marco Zavagno

 

Une maison de poupée, librement inspiré de la pièce d’Henrik Ibsen

Mise en scène  Lorraine de Sagazan
Avec  Lucrèce Carmignac, Romain Cottard, Jeanne Favre, Antonin Meyer Esquerré, Benjamin Tholozan
Lumières  Claire Gondrexon
Scénographie, costumes et construction décors  Anne-Sophie Grac et Charles Chauvet
Régie générale  Thibault Marfisi
Régie plateau  Paul Robin
Production, diffusion Juliette Medelli (Copilote)

 

Durée : 1 h 30

Du 18 septembre au 6 octobre à 20h30, grande salle, relâche le dimanche

 

Le Monfort

Parc Georges Brassens

106 rue Brancion 75015 Paris

 

Réservations : 01 56 08 33 88

http://www.lemonfort.fr

 

 

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