ƒ Article de Corinne François-Denève

©DR

C’est Noël ! Nora a, comme de coutume, gâté son mari et ses enfants. Certes, pèse toujours sur elle la menace de cette dette qu’elle a contractée, par amour et esprit de sacrifice, mais l’ardoise est sur le point d’être effacée. Tout cela sera bientôt derrière elle. Tout le monde connaît l’histoire d’Une maison de poupée, conte de l’émancipation féminine teinté d’une terrible cruauté (que fera donc Nora, une fois la porte refermée sur elle ?) Qu’en faire en 2016 ?

Au Lucernaire, Philippe Person a conçu son espace scénique comme un ring. Des rubans de neige cotonneuse délimitent le carré dans lequel se joue la lutte pour l’émancipation de Nora. Philippe Calvario arpente les diagonales, se réfugie dans les coins, tel un karatéka dégingandé, acculé par la révolte de sa douce alouette. Dans le fond, une sorte de cage en verre isole tour à tour les personnages, faisant résonner leurs menaces et leurs doutes – et le bruit de la boîte aux lettres fatale.

Person a fait le choix de moderniser la pièce, la situant dans un temps et un lieu plus « modernes », quoique finalement peu définis. Nora ne danse plus une tarentelle, mais une danse jazzy sortie de The Artist. L’argent occupe toute la place, au point que Person place en ouverture un monologue de Nora, qui parle, face public, de cette dette, avant que n’apparaisse à ces côtés Christine, répétant son entrée. On pense à l’ébauche d’un « Labo-Nora », d’un « Fragments d’une maison », proposition qui aurait pu être intéressante. Il n’en est rien : immédiatement après, la pièce roule de son rythme coutumier – moins naturaliste, moins sauvage que l’original. Christine et Krogstad, par exemple, peinent à faire comprendre l’amour qui les a unis.

On peut aussi s’étonner du didactisme de certains effets, peu nécessaires, au vu de la force du texte, qui fait encore pleurer un premier rang de femmes quinquagénaires, émues de voir verbalisée la sourde révolte des épouses méprisées. Ainsi, quand Nora entre en scène, c’est vêtue d’une robe décorative, brillante comme un sapin de Noël, objet scintillant perdu dans son rutilant intérieur. Quand elle en sort, c’est en pantalon – elle s’est émancipée. Pendant la danse-transe de Nora, l’actrice s’isole dans son cubicule de verre pour se livrer à un exercice de pole dance sur fond de musique technoïde – c’est une hystérique. Quant à Helmer, il devient tout bougon quand son épouse se refuse à lui. Curieux raccourci qui fait d’un drame psychologique et social une variation sur la frustration sexuelle.

On se demande parfois aussi pourquoi la mise en scène choisit de saucissonner le texte en l’interrompant par des musiques d’ambiance plus ou moins bien choisies. This is the end des Doors au milieu, le motif de Vertigo vers la fin – pour figurer le vertige qui saisit Nora ? – tandis que la scène finale se joue entièrement, et très démonstrativement, sur fond de The Hours de Philip Glass. C’est donc une Maison de poupée contemporaine et cinématisée que choisit de livrer Philippe Person : les deux protagonistes ressemblent à vos voisins un peu bobos, prêts à discuter de la procédure de divorce et de la garde des gosses. Un pavillon façon Claude Sautet, donc, sans la nostalgie et l’infinie tristesse.

Une maison de poupée
de Henrik Ibsen
adaptation et mise en scène de Philippe Person
traduction de Régis Boyer
avec : Florence Le Corre  (Nora), Nathalie Lucas  (Madame Linde), Philippe Calvario (Torvald Helmer), Philippe Person  (Krogstad)
Lumières : Alexandre Dujardin
Décors : Vincent Blot

Durée : 1 h 30

Le Lucernaire
du 7 décembre 2016 au 21 janvier 2017
du mardi au samedi à 21 h
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 57 34

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