À l'affiche, Agenda, Critiques // Une histoire d’amour, d’Alexis Michalik, mis en scène par Alexis Michalik, à La Scala Paris

Une histoire d’amour, d’Alexis Michalik, mis en scène par Alexis Michalik, à La Scala Paris

Sep 13, 2020 | Commentaires fermés sur Une histoire d’amour, d’Alexis Michalik, mis en scène par Alexis Michalik, à La Scala Paris

 

© François Fonty

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Tandis que le public remplit les gradins de La Scala de Paris, une musique de jazz est diffusée sur le plateau où attendent tous les éléments de décor qui vont, sur des roulettes, traverser la scène et s’y installer plusieurs fois. On aperçoit à Jardin un lit et une cuisine et à Cour, un bureau, un canapé et des WC. Cinq micros sont positionnés en front de scène, devant lesquels se placent rapidement dès leur entrée quatre comédiennes et un comédien qui entament avec plus (Alexis Michalik) ou moins (les quatre autres) de justesse la célèbre chanson d’Aznavour « Et pourtant je n’aime que toi ».

Pendant un instant, on se demande ce que l’on fait là, d’autant que le titre et le pitch de la pièce avaient créé un doute. Quoi de plus banal qu’Une histoire d’amour ? Le jeune dramaturge et metteur en scène surdoué qui remplit les salles parisiennes à chacune de ses créations, qui remportent prix et adaptations cinématographiques, avait-il à ce point-là manqué d’inspiration ? L’on rapportait, avant que la pièce ne soit créée en début d’année 2020 (une époque où les histoires d’amour ne connaissaient pas les gestes barrières, les masques et le gel hydro-alcoolique), que ses propres chagrins l’avaient inspiré. Pour mieux correspondre à l’air du temps, les aurait-il dissimulés, avec certes moins de tiroirs que dans d’autres créations (notamment le génial Intra Muros), dans une histoire entre deux femmes ?

Katia, homosexuelle, tourne la tête de Justine qui se revendiquait comme purement hétéro, mais va connaître bonheur et plaisir inégalés dans la nouvelle vie qu’elle entame, jusqu’à ce qu’elle lui impose un désir d’enfant et une insémination artificielle simultanée. Celle qui au départ n’en voulait pas tombe enceinte et la rupture, qui était écrite, survient alors que la grossesse n’était pas encore achevée. On retrouve Katia douze ans plus tard avec Jeanne, sa fille et l’on apprend qu’atteinte d’un cancer généralisé, elle n’a plus que quelques semaines à vivre. La seule personne susceptible de s’occuper de Jeanne est William, son frère, écrivain à succès quand il « mariait » symboliquement sa sœur et son amoureuse dans la « forêt cosmique ». Mais William a connu des chagrins d’amour et le plus grand était à venir (que l’on ne « divulgachera » pas). Le sort de Jeanne va transformer les rapports entre tous les protagonistes et faire évoluer l’appréhension de chacune de leurs histoires d’amour, car il y en a plusieurs qui s’entrecroisent.

Dite ainsi, cette fiction ne fait pas rêver et pourtant, pourtant…

Elle tire rires et larmes pendant près d’une heure trente. La magie opère grâce au texte ciselé, alliant cynisme (relatif) et dérision, et surtout beaucoup d’humour (la réplique du livreur de canapé – joué par Michalik – sur la peur de l’engagement, est désopilante), qui sont relayés par une mise en scène parfaitement huilée, inventive et audacieuse qui ne laisse pas un instant de répit au spectateur. Les changements de décors et de costumes se font sur le plateau, à un rythme endiablé. Beaucoup d’astuces, mais peu d’artifices – notamment une utilisation modérée de la vidéo dont on aurait même pu se passer. Le Molière 2020 de la mise en scène d’un spectacle de théâtre privé était plus que mérité.

Le charme opère également grâce à la distribution, presque exclusivement féminine puisqu’Alexis Michalik joue le seul rôle d’homme (William l’écrivain). Il est drôle, séduisant même quand il est exaspérant d’égocentrisme. Katia, l’écorchée vive quand elle rencontre Juliette, est incarnée avec beaucoup de justesse par Juliette Delacroix, meurtrie mais combattante et aimante avec sa fille douze ans plus tard. Marie-Camille Soyer est si crédible dans le rôle enjoué de Juliette, traduisant sa pulsion de vie débordante et sa légèreté qui ne sont qu’apparence. La culpabilité l’a rongée pendant toutes ces années, mais elle reconnaît sans honte qu’« on fait tous des promesses qu’on n’arrive pas à tenir. » Enfin, Jeanne qui à douze ans lit entre autres La Critique de la raison pure de Kant, donne envie à tout le public de l’adopter, incarnée si sensiblement par Amélia Lacquemant (qui joue le rôle en alternance avec d’autres jeunes comédiennes). Il n’y que le rôle de Claire qui ne convainc pas totalement, alors même que la présence de Pauline Bression est incontestablement lumineuse, utilisant son sourire irrésistible dans le rôle le moins réaliste de la pièce. La récurrence de ses apparitions dansées casse le rythme (ce qui en soi pouvait être une bonne idée) et n’apporte rien. C’est dommage.

Il faut indiquer en outre, qu’en plus de leurs rôles principaux, chaque comédien.ne.s joue des rôles secondaires (médecin, infirmière, juge des affaires familiales, serveuse de restaurant…), ce qui ajoute à la prouesse de leurs prestations.

Rares sont les spectateurs qui ne rangent pas un mouchoir avant d’applaudir, debout, un spectacle incontestablement cathartique. Chacun peut y trouver un bout de son histoire, de ses échecs, ses peurs, ses renoncements, ses attentes. Et cela est bien ainsi.

 

© François Fonty

 

Une histoire d’amour d’Alexis Michalik

Mise en scène : Alexis Michalik

Assistante à la mise en scène : Ysmahane Yaqini, avec Clémentine Aussourd

Décor : Juliette Azzopardi

Costumes : Marion Rebmann

Assistée de Violaine de Maupeou

Lumières : Arnaud Jung

Vidéo : Mathias Delfau

Son : Pierre-Antoine Durand

Chorégraphie : Fauve Hautot

Perruques : Julie Poulain

Régie plateau : Laurent Machefert

Assistant régie : Paul Clément-Larosière

 

Avec : Pauline Bression, Juliette Delacroix, Alexis Michalik, Marie-Camille Soyer

Et en alternance : Lior Chabbat, Violette Guillon, Amélia Lacquemant, Léontine d’Oncieu

 

Du 11 septembre au 15 novembre 2020

Du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h

Durée 1 h 25

 

La Scala Paris

13 boulevard de Strasbourg

75010 Paris

 

Réservation 01 40 03 44 30

www.lascala-paris.com

 

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed