ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
La personne de Gisèle Halimi pourrait être un personnage de roman, et son chemin de vie présente une dramaturgie intrinsèque, deux éléments rendant presque évidentes des adaptations grand public de son livre-entretien, Une farouche liberté, publié par Grasset en 2020, année de sa mort, écrit avec la journaliste Annick Cojean qui signe également le texte de la pièce au titre éponyme, ainsi que celui d’un ouvrage illustré publié par Steinkis cet automne.
Une farouche liberté qui se joue dans la petite salle de La Scala Paris, bondée le soir où nous y étions, est un biopic fidèle à l’ouvrage précité tout en donnant un sentiment d’hagiographie, mais que l’on ne peut que valider. Le découpage en quatre chapitres (De l’indiscipline, De l’engagement, De la sororité, De l’indignation) n’est pas celui du livre mais respecte la même logique partiellement chronologique, et reprend la quasi-totalité du livre à savoir les grands combats de la femme et de l’avocate, qui quelques soient les moments considérés ont toujours été mêlés : par exemple, à 10 ans quand elle entamait une « grève de la faim » pour n’avoir plus à servir ses frères à table ; lorsque couchée sur le sol d’une cellule de l’OAS, elle attendait la mort en pensant à ses deux jeunes enfants, ou encore quand elle défendait Marie-Claire Chevallier ou Djamila Boupacha, victimes de la violence masculine mais placées en position d’accusées par une partie de la société.
L’exemplarité de la vie de Gisèle Halimi due à sa ténacité, sa combativité, sa capacité constante d’indignation, son insoumission, sa liberté ne peut que sublimer toute représentation théâtrale. En l’occurrence, la délicatesse de la mise en scène de Léna Paugam et la qualité de jeu d’Ariane Ascaride et Philippine Pierre-Brossolette, en font un spectacle attrayant et émouvant, sans être jamais larmoyant, éducatif pour les jeunes générations sans être rébarbatif ou didactique, engagé et forcément féministe, et même parfois drôle, bien que le récit soit souvent dramatique.
Les luttes d’Halimi contre la torture, les violences faites aux femmes, le choix de disposer de son corps, l’interdiction de la peine de mort sont passées en revue. Si Une farouche liberté ne peut évidemment entrer dans les subtilités de chacune et ne se concentre sur aucune en particulier ainsi que Pauline Bureau avait remarquablement pu le faire avec sa pièce Hors la loi en 2019 au Vieux-Colombier sur le procès dit de Bobigny, aussi intelligemment construite sur les plans dramaturgique et scénographique que dans son traitement au fond du débat sur l’IVG, un hommage vibrant est néanmoins rendu à la défenseuse passionnée des droits fondamentaux.
Le choix de faire porter par deux comédiennes, d’âges différents, sans les cloisonner pour autant dans deux périodes chronologiquement étanches, s’avère extrêmement réussi. Les deux voix différentes, aux sens propre et figuré, s’entremêlent. Les hésitations ou trébuchements sur certains mots ou phrases sont tout sauf problématiques et donnent un naturel bienvenu à la parole de cette femme extraordinaire, si bien que l’on se demande même si cela n’est pas voulu. Les déplacements calculés, allant du plateau aux premiers rangs dans le public, tout comme en haut des gradins, soulignent ce quasi don d’ubiquité de Gisèle Halimi, et cette volonté tenace de convaincre et de « changer le monde. » Alors qu’il s’agit formellement d’un monologue à la première personne du singulier, les deux comédiennes se succèdent ou se répondent comme dans un dialogue, voire même un trilogue du fait de la présence d’une troisième Gisèle, la vraie, à travers des extraits audio de plusieurs interviews qui rythment la pièce par quelques courtes incises et qui sonnent comme des formules inspiratrices pour toute femme quel que soit son âge (« que ma vie m’appartienne » ; « ne pas s’habituer »…) ou étape de sa vie. Les choix scénographiques accompagnent d’abord discrètement le jeu des comédiennes, la projection sur le mur du fond de mots, de textes (le serment par exemple, ou encore les noms des « 343 salopes »), mais aussi de personnages dessinés (dans un graphisme différent de celui de l’ouvrage illustré précité) n’est pas original mais efficace. Seules les lumières pourraient sans doute utilement être retravaillés (notamment pendant la plaidoirie d’Aix-en-Provence en 1978 dans l’affaire des deux jeunes femmes belges violées).
« On ne naît pas féministe on le devient », phrase tirée d’Une farouche liberté, devenue aussi célèbre que son modèle « On ne naît pas femme on le devient » est finalement le leitmotiv de toute la pièce. Et on sort d’Une farouche liberté en espérant qu’il y ait beaucoup d’enseignants et enseignantes dans le public, qui ne manqueront forcément pas de revenir avec leurs élèves. Un spectacle qui devrait être obligatoire pour tous les lycéennes et lycéens de France et de Navarre.
Une farouche liberté, de Annick Cojean
Mise en scène de Léna Paugam
Assistanat à la mise en scène : Mégane Arnaud
Scénographie : Clara Georges Sartorio
Création sonore : Félix Mirabel
Création vidéo : Katell Paugam
Avec : Ariane Ascaride, Philippine Pierre-Brossolette
Durée 1 h 20
Jusqu’au 21 décembre 2022
19h30 les mardis et mercredis
La Scala Paris
La Piccola Scala
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
www.lascala-paris.fr
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