© Brigitte Enguérand

ƒƒƒ Article de Philippe Escalier

Écrite pour son départ de Venise en 1762, Une des dernières soirées de Carnaval donnée aux Bouffes du Nord sous la direction de Clément Hervieu-Léger est l’occasion de découvrir une divertissante étude de mœurs, surprenante de vivacité et de modernité.

Se sentant incompris de son public vénitien, Goldoni décide de changer d’air et de venir respirer celui de Paris où il finira ses jours dans le dénuement en 1793. Il écrit pour l’occasion Une des dernières soirées de Carnaval et il n’est pas étonnant que cette pièce d’adieu soit construite sur le thème de l’installation à Moscou d’un jeune et séduisant dessinateur de tapisserie italien, amoureux de la fille d’un tisserand, Maître Zamaria qui donne une grande soirée pour la clôture du Carnaval. C’est d’une plume acérée qu’est décrit ce moment auquel sont conviés, pour l’essentiel, des amis de travail, aux caractères différents et bien trempés. L’on discute avant de passer au jeu de cartes puis au souper et aux danses. Parmi les participants, deux jeunes époux, pingres et maladivement jaloux, un mari faible, manipulé par un femme capricieuse, cyclothymique et hypocondriaque, un jeune homme sûr de lui et séducteur invétéré, une cougar dépitée et sauvage (la moins avenante est française, faut-il y voir un hasard ?), une jeune fille timide mais très éprise, un père veuf, quelque peu possessif, un jeune homme ambitieux, au cœur tendre. Cette micro société que Goldoni fait se mouvoir sous nos yeux, se divertit en se posant des questions (dont certaines devaient probablement tourmenter l’auteur à la veille de son expatriation) : qui aimer, faut-il être fidèle, comment réussir sa vie professionnelle, pourquoi quitter sa patrie, l’amour résiste-t-il à la distance ? Bref, il ne manque plus que les problèmes liés à l’addiction aux réseaux sociaux et au réchauffement climatique pour que nous retrouvions la forme et le fond des échanges auxquels nous sommes habitués aujourd’hui !

Précurseur, Carlo Goldoni l’est, lui qui voulait se libérer des canevas corsetant l’écriture théâtrale de son époque, dont celui de la Commedia dell’arte. De fait, c’est bien une forme renouvelée qu’il nous propose, très libre, où les portraits sont travaillés sur le mode de la conversation, avec une surprenante justesse doublée d’un humour redoutablement efficace et parfois féroce. Cette aptitude à dépeindre une micro société a permis de dire (peut-on trouver meilleur compliment ?) qu’il annonçait Tchekhov, la dérision et le rire en prime !

Clément Hervieu-Léger réalise une parfaite mise en scène, inventive et attentive aux détails, fidèle à l’esprit et à la richesse du texte, permettant à une troupe jeune, d’une belle homogénéité, s’exprimant aussi par le chant, la musique et la danse, (chorégraphies minutieusement réglées par Bruno Bouché), de donner le meilleur. Grâce à eux, nous participons pleinement à l’une de ces grandes fêtes dont Carlo Goldoni détient le secret, à l’énergie contagieuse, captivant le spectateur durant plus de deux heures. Car, passée une entrée en matière légèrement laborieuse, lorsque la machine est lancée, il n’est plus qu’une standing ovation, une fois la dernière réplique lancée, pour pouvoir l’arrêter.

© Brigitte Enguérand

Une des dernières soirées de Carnaval de Carlo Goldoni

Mise en scène de Clément Hervieu-Léger

Texte français de Myriam Tanant et Jean-Claude Penchenat (Actes Sud-Papiers)
Décor : Aurélie Maestre
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumières : Bertrand Couderc
Chorégraphies : Bruno Bouché
Maquillages et coiffures : David Carvalho Nunes
Réalisation sonore : Jean-Luc Ristord
Conseil musique : Erwin Aros
Collaboratrice artistique à la mise en scène : Elsa Hamnane

Avec : Aymeline Alix, Erwin Aros, Louis Berthélémy, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Adeline Chagneau, Marie Druc, Charlotte Dumartheray, M’hamed El Menjra, Stéphane Facco, Juliette Léger, Jeremy Lewin, Clémence Prioux, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro

Du 8 au 29 novembre 2019

Du mardi au samedi à 20 h 30
Matinées les samedis à 15 h 30
Matinée le dimanche 24 novembre à 16 h

Théâtre des Bouffes du Nord

37bis, boulevard de La Chapelle

75010 Paris

Réservations : +33 (0)1 46 07 34 50
E-mail : location@bouffesdunord.com

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