À l'affiche, Critiques // Une commune, de Guillaume Cayet, mise en scène de Jules Audry, Cie Future noir, Théâtre de Vanves

Une commune, de Guillaume Cayet, mise en scène de Jules Audry, Cie Future noir, Théâtre de Vanves

Nov 13, 2017 | Commentaires fermés sur Une commune, de Guillaume Cayet, mise en scène de Jules Audry, Cie Future noir, Théâtre de Vanves

© Lison Foulou

 

ƒƒƒ Article de Corinne François-Denève

Dans une commune de Lorraine, de nos jours. La mine a fermé en 1990, abandonnant à leurs sorts ses employé.e.s (le programme adopte l’écriture inclusive, et nous nous y conformerons donc ici). Tous et toutes se sont reconverti.e.s, par exemple en ouvriers agricoles, ou en ont été incapables, et toussent à n’en plus finir, ressassant chez eux leur passé. Les enfants s’ennuient peut-être encore plus qu’ailleurs, avec pour seul horizon l’espace des puits de mine, terrain de jeu grandiose et dérisoire, d’où on peut observer les étoiles mortes et les incendies. Mais un jour débarque dans la commune « Monsieur Vivien », mage raëlien à l’ampoulé discours, qui mélange nostalgie des temps d’avant et enthousiasme béat pour l’entreprenariat. Il apporte dans ses valises un nouveau projet de forage au gaz « non conventionnel », qui redonnera vie à la commune. Un forage sans hommes ni femmes, certes – mais a-t-on vraiment le choix, entre le rien de maintenant et ce projet in-humain ? Entre le renouveau économique espéré et le génocide écologique à prévoir ? On aura le choix, insiste Guillaume Cayet : le temps des cerises, ou des utopies, n’est pas mort.

Il y a du Ibsen, façon Un ennemi du peuple, dans cette « Commune » : des hommes et femmes nouveaux/nouvelles et un monde ancien, la nature et son asservissement, et la vengeance de celle-ci, le poids de l’économie, du « progrès », de ses revers. Un peu de Mirbeau, façon Le Conseil municipal, dans la dénonciation satirique de la médiocrité du politique. Il y a du Brecht et du Gorki aussi, sans doute, dans cette volonté de voir les « bas-fonds » de la société juger, et mettre à bas les grands. On veut y voir aussi du Renoir, façon La Règle du jeu : la revanche des humbles et des humilié.e.s, lors d’une partie de chasse version « peuple ». Le théâtre est politique, et cette pièce l’est viscéralement. Elle pourra en ce sens déplaire à certain.e.s. Elle n’est pas que cela toutefois. Ainsi, elle laisse une grande place à la forêt : celle des « zones à défendre » de Notre-Dame-des-Landes ou de Bure – ou celle des fééries symbolistes. Une Commune est également profondément onirique : à la fin, Vera, la vérité, sort comme il se doit du puits (de la mine). Il y a aussi du romanesque (un médaillon retrouvé dans une tombe, une fille cachée), des coups de théâtre et des péripéties.

Emmenée par la haute stature de François Clavier, capitaliste cynique et ouvrier nostalgique (tous les acteurs incarnent au moins deux rôles), la troupe de Future noir dépense une énergie folle à faire vivre ce conte du capitalisme ordinaire. Frédéric Losseroy incarne une « Madame Viviane » sans caricature aucune : c’est un homme en perruque et talons qui joue un personnage de femme, sans la travestir en rien. Marion Noone fait exister avec tendresse et subtilité Lucas, l’ado « différent », pyromane et super héros. Lise Gervais offre son abattage et sa verve, tantôt comique, tantôt délicate, à divers personnages : le mineur revendicatif, la révolutionnaire vengeresse, le savant fou lunaire.

Tout cela se chante aussi. Une bande musicale, pensée par Anne Fischer, assure la continuité narrative de cette « pièce enchantée ». Des chansons marquent les transitions. Elles ne sont pas plaquées au hasard mais illustrent le récit, le font respirer, le mettent en relief : ariette oubliée sur une chasse à courre, quand la lutte des classes s’engage, chansonnette doucereuse sur le danger socialiste fredonnée de façon mutine par « Madame Viviane », la capitaliste sans scrupules. L’ensemble, qui s’organise autour de la scénographie astucieuse de Jeanne Boujenah (de gros blocs façon « kapla » qui se déplacent et figurent des terrils, une table de conseil…) est jeune, enthousiaste et plein de vie. Le spectacle semble encore se construire chaque soir. Il s’achève en tout cas toujours sur une utopie, où l’on voudra voir un message optimiste, indiquant que tout n’est pas encore forcément perdu.

Une commune, de Guillaume Cayet

Mise en scène  lumière  Jules Audry, Cie Future noir
Assistanat à la mise en scène  Lison Foulou
Scénographie  Jeanne Boujenah
Dramaturgie  Guillaume Cayet
Costumes, accessoires  Juliette Seigneur
Composition musicale et travail vocal  Anne Fischer
Régie son et lumière  François Duguest

Avec  François Clavier, Charlotte Corman, Lise Gervais, Anne Fischer, Frédéric Losseroy, Fatima Soualhia Manet, Marion Noone, Airy Routier

Durée  2 h
Du 10 au 15 novembre 2017

Réservations  www.billetterie.theatre-vanves.fr

Théâtre de Vanves
12 Rue Sadi Carnot
92170 Vanves

T 01 41 33 92 91

Tournée :
25 et 26 janvier 2018 Gare au Théâtre, Vitry-sur-Seine
10 avril 2018 Jarny (54)
12 avril 2018 Til-théâtre Ici&là- Val de Brey (54)
17 et 18 mai 2018 Théâtre du Voyageur – Asnières (92)

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