© Héloïse Faure
ƒƒ article de Corinne François-Denève
Au moment de faire une fin, la troupe, réunie sur scène, s’interroge : « on est bloqués », « on est à un nœud dramaturgique » ou « existentiel, mais c’est la même chose ». La fable de la pièce est pourtant limpide : on assiste à la dernière nuit de l’héroïne, Galia Libertad, qui raconte, en témoin privilégié qu’elle est, son « siècle ». L’aporie finale, dûment constatée, de façon métathéâtrale et ironique, est parlante : le récit de la vie de Galia s’est déployé, tout au long de la pièce, d’ailleurs plus en volutes que de façon linéaire, mais on ne sait trop comment conclure, et qu’en conclure.
Long de 2 h 15, ce Siècle semble en effet un curieux alliage composite de « morceaux de bravoure » mis bout à bout, comme le suggère d’ailleurs le chapitrage figuré sur les slides diffusés en fond de scène. Cette tranche d’histoire est débitée en autant épisodes pris en charge par tel ou tel personnage. Galia Libertad, née en 1941, a eu une vie riche. Son corps porte le souvenir des luttes ouvrières et féministes. Elle incarne le destin des réfugiés espagnols ou des pogroms, et charrie les fantômes de la Shoah ou de la Guerre d’Algérie. Elle a aussi les pieds solidement plantés dans la terre de Montluçon, et plus exactement dans celle de la cité Dunlop.
Un siècle emprunte au théâtre documentaire, mais est surtout un vrai théâtre politique, qui va chercher vers le rituel païen. Il s’agit de rendre hommage à Galia, corps vivant et mort sur scène, à grand renfort de cérémonies dansées, chantées et parlées. La scénographie, somptueuse et baroque, rappelle le dispositif mis en place par Pippo Delbono pour la Gioia. La famille rassemblée sur scène pour un dernier repas ou une dernière nuit parle sexe et mort, et ressemble tout autant à un chœur antique qu’aux chairs égarées du Bal, façon Théâtre du Campagnol. On y croise un veuf aigri, une jeune femme engagée, prompte à dénoncer les injustices systémiques faites aux minorités, un grand mutique, une quinquagénaire à l’aube de la liberté, une trentenaire à l’aube de la maternité – et surtout la présence écrasante et formidable de la « mamma » Galia (Monique Brun), qui « emmerde » tout le monde. La table, généreuse, convie tous les éclopés du siècle, abattus par la grande hache de l’Histoire. Elle invite les sorcières, les simples, les dominé.e.s de tout bord, comme s’il fallait n’oublier personne, et traiter de tous les problèmes du temps et des temps.
L’écriture de Carole Thibaut est toujours aussi forte, belle et émouvante. Mais le spectacle ouvre des pistes, les poursuit un moment, pour les quitter sans les refermer tout à fait. Olivier Perrier commence à nous parler du théâtre à Hérisson, puis quitte la scène pour continuer son aparté avec les spectateurs du premier rang ; la leçon de mécanique, en revanche, se déroule longuement sans être interrompue ; et enfin « il faut parler du territoire », nous intime-t-on de façon un peu didactique et maladroite. On regarde avec grand plaisir, on picore sans ennui, on commence à se laisser embarquer par une scène, puis on nous débarque sur une autre rive ; on nous donne un peu à manger, car il s’agit de nourrir les corps et les esprits ; et la voix de Galia, impérieuse, vient rassembler ses troupes distraites. Les jours s’en vont, le spectacle se finit, la salle se vide, mais demeurent dans la rétine la force des splendides images, et dans l’oreille la ferveur d’une vraie troupe : sans doute un nouveau spectacle s’est-il inventé ici, tragédie grecque ou kabuki, transplanté du Bourbonnais à la Cité internationale.
© Héloïse Faure
Un siècle. Vie et mort de Galia Libertad, texte et mise en scène de Carole Thibaut
Assistanat à la mise en scène : Marie Demesy
Scénographie : Camille Allain-Dulondel
Costumes : Malaury Flamand
Lumières : Yoann Tivoli
Son : Margaux Robin
Vidéo : Léo Derre
Musique inspirée du répertoire traditionnel auvergnat de Romain « Wilton » Maurel
Construction décor : Sébastien Debonnet, Jérôme Sautereau,
Stéphanie Manchon, Séverine Yvernault
Régie générale & participation à la conception décor : Frédéric Godignon & Pascal Gelmi
Régie lumière : Guilhèm Barral, Florent Klein
Régie son : Pascal Gelmi
Régie plateau : Léo Laforêt
Régie vidéo : Thibaut Cherdo
Recherche accessoires : Laurent Lureault
Stagiaires : Constance De Saint Remy, Léa Peguy, Leslie Bouchou-Carmine
Avec : Monique Brun, Antoine Caubet, Jean-Jacques Mielczarek, Olivier Perrier, Mohamed Rouabhi, Valérie Schwarcz & La Jeune Troupe des Îlets #2 : Hugo Anguenot, Chloé Bouiller & Louise Héritier
Avec la participation à l’image et/ou en voix de Claire Angenot, David Damar-Chrétien, Carole Thibaut, Marie Vialle
Durée : 2 h 15
Du 7 au 26 février 2022
Mardi, jeudi, samedi à 19 h
Lundi, vendredi, 20 h
Relâche mercredi et dimanche
Théâtre de la Cité Internationale
17, bd Jourdan
75014 Paris
T+ 01 85 53 53 85
www.theatredelacite.com
comment closed