© Juliette Parisot.
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
On tourne en rond chez les petits bourgeois de Tourgueniev, les principaux sujets de conversation une fois épuisés, il ne reste pour toute distraction que la manipulation de son prochain. Comment rendre l’autre fou, comment annihiler en lui tout espoir par le simple pouvoir du langage. C’est l’angle choisi par Clément Hervieu Léger, montrer la domination par le verbe, marqueur des rapports de classe, d’une suprématie des « vieux » sur la jeune génération et objet de jouissance pour des femmes castratrices insatisfaites sexuellement et brimées socialement. Freud quelques années plus tard a largement documenté la question.
Natalia est l’épouse d’un propriétaire terrien, Arcady, complétement absorbé par l’exploitation de son domaine. L’épouse désœuvrée se distrait comme elle peut grâce à la présence de son amoureux platonique Rakitine. La communauté comprend comme il se doit un médecin ami qui joue les entremetteurs, une gouvernante sans dot, une pauvre orpheline candide Vera, un riche barbon et une truculente douairière, mère d’Arcady. Tout s’emballe à l’arrivée d’un jeune précepteur Alexeï qui devient vite l’objet du désir de la jeune Vera et de Natalia. Une chaîne d’événements s’ensuit selon l’effet domino.
Chaque élément du décor est réduit à sa plus simple expression, un aplat à deux dimensions à la Dog ville. On entend le bruit d’un orage, une vanneuse, l’envol d’un cerf-volant, bref, c’est la situation qui est mise en avant dans ses rebondissements psychologiques ; le spectateur observe ce microcosme saisi par le sentiment amoureux comme symptôme d’un vide existentiel. Cette société incapable de renouvellement court à sa perte ; il flotte un petit air de cinéma italien dans le jardin qui n’est pas sans rappeler celui des Finzi-Contini du grand De Sica.
La mise en scène de Clément Hervieu léger, de facture classique, sans aspérité particulière, met en avant le texte. Proche de Tchekhov, Tourgueniev s’emploie à briser les illusions de l’amour comme vecteur de bonheur possible, les chemins des uns et des autres se croisent sans jamais se rencontrer. Mais les personnages de Tchekhov sont attachants par leurs défauts, leurs qualités, leurs souffrances. Là, ils gardent le plus souvent le contrôle de leurs sentiments, au profit des joutes cruelles par lesquels chacun tente d’arriver à ses fins, c’est en tout cas la direction d’acteurs que semble privilégier Clément Hervieu Léger. Les mots tuent, les comédiens font passer toutes les nuances d’un texte subtil, faussement léger. On regarde les hommes tomber un à un. Dans un ultime geste sacrificiel, ils abandonnent la place, Natalia se retrouve seule avec son ectoplasme de mari. La cérémonie des adieux résonne comme une tragédie du départ d’une noirceur absolue. Glaçant !
© Juliette Parisot.
Un mois à la campagne, d’Ivan Tourgueniev, traduction de Michel Vinaver
Mise en scène : Clément Hervieu Léger
Lumières : Alban Sauvé
Son : Jean-Luc Ristord
Costumes : Caroline de Vivaise
Avec : Louis Barthélémy, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Stéphane Facco, Isabelle Gardien, Juliette Léger, Guillaume Ravoire, Mireille Roussel, Daniel San Pedro, en alternance Nathan Goldsztejn , Lucas Ponton, Martin Verhoeven
Du 10 janvier au 4 février 2023 à 20h
Durée : 2h15
Athénée Théâtre Louis Jouvet, 2-4 square de l’opéra Louis Jouvet 75 009 Paris.
Réservation
01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com
Tournée : 7 02 2023 à Draguignan, 9 et 10 02 Albi, 16 02 Saint Michel sur Orge, 28 02 Chartres, 3 et 4 03 à Calais, 8 et 9 03 Caen , 15 et 16 03 Amiens, 21 03 Flers, 23 et 24 03 la Rochelle, 28 03 Istres, du 30 03 au 01 04 Nice, 3 et 4 04 Calais, 6 04 Val de Reuil, 25 04 Bayonne.
Ivan Tourgueniev, un mois à la Campagne, traduction Michel Vinaver éditions l’Arche 2018
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