À l'affiche, Critiques // « Un jour ou l‘autre » de Linda Mclean mise en scène de Blandine Pélissier au Lucernaire

« Un jour ou l‘autre » de Linda Mclean mise en scène de Blandine Pélissier au Lucernaire

Mar 08, 2015 | Commentaires fermés sur « Un jour ou l‘autre » de Linda Mclean mise en scène de Blandine Pélissier au Lucernaire

ƒƒ article d’Anna Grahm

1418723026_un_jola_affiche_300L’auteure Linda Mclean – qui nous vient d’outre manche – nous raconte la vie des gens que la plupart des gens veulent ignorer. Elle nous propose une histoire en deux temps. Deux couples qu’apparemment rien ne relie.

Dans le premier tableau, Bill et Bertha se donnent un mal fou pour aller bien, elle, avec ses 100 kilos, qui ne bouge pas, et lui, tout gondolé, dans son gilet d’intérieur et ses petits chaussons aux pieds. Ces deux-là ont l’un pour l’autre des sourires sans arrière pensée et des regards paniqués à fendre l’âme. Pour eux le temps passe dans la répétition des gestes minuscules, dans le va et vient d’incessantes vérifications des habitudes, la reconduite d’une tasse de thé, la permanence du pain de mie. Lui, sa montre c’est le soleil, elle, son obsession, c’est le ciel qui se couvre, c’est la nuit qui vient. On espère que Jacky ne va pas tarder, on attend, on guette, on s’inquiète pour Jacky. La peur rampe, le danger n’est jamais loin, la mort toujours là, en embuscade, dans la rue, derrière la fenêtre, à l’extérieur.

Pour camper leur isolement, la metteure en scène Blandine Pélissier a choisi d’inscrire le couple dans un univers flottant. Les murs sont en voiles blancs, et donnent un aspect irréel, sensuel et mystérieux à ces corps malhabiles, corps qui se révèlent derrière la lumière laiteuse des voilages, des ombres dansantes effrayantes. Il suffit d’un rien, d’un souffle, d’une intonation, de quelques gouttes de pluie pour que se rompe l’équilibre fragile qu’ils se sont construits, pour que la tête de Bertha dodeline, que ses yeux roulent et que l’anxiété les poussent au bord du précipice.

Pour incarner ces cœurs purs à fleur de peau, il y a l’enveloppe massive de Christine Pignet toujours aux aguets du frisson, qui se balance doucement, qui abuse de son esclave protecteur, Alain Granier, maladroit et naïf à souhait, aussi cocasse et désarmant que la petite fille qui l’affole. Alors évidemment quand la pierre traverse la vitre, quand la brutalité de la rue subitement entre chez eux, il terrasse d’une bien étrange façon sa Bécassine pour tacher d’apaiser la crise de terreur. Mais le berceau ouaté n’est jamais à l’abri de la violence et de la bêtise qui rôde.

Dans le second tableau, Blandine Pélissier suggère un semblant de réalité, un bar suspendu dans les airs, lui aussi qui balance, et quelques tubulures de sièges sans assise en acier brillant. C’est l’heure de la fermeture où des horizons nouveaux vont s’ouvrir. Jacky finit de balayer, pendant que Dave qui ne la quitte pas des yeux, fait des boulettes. Entre eux, il y a des frémissements, des rapprochements, des dialogues qui se télescopent, des gaffes et des silences qui pèsent. Il y a Éric Herson-Macarel, qui dessine avec un naturel confondant un patron malhabile, qui drague son employée comme à l’âge de pierre, qui accumule les bourdes et s’enferre. Et puis il y a Sarah Vermande qui, sans le lui reprocher, mais avec une douce fermeté, relève cet ours solitaire, se met sur un pied d’égalité pour lui parler de sexualité. Pourtant Jacky est épuisée, et a, comme Dave, bien du mal à se sentir encore vivante. Alors quand après quelques verres, et de singulières accélérations du langage, elle décide d’accepter la petite escapade, c’est toute la cruauté de la fin du premier tableau qui revient en boomerang. Mais peut-on toujours consacrer du temps aux autres si l’on ne prend plus soin de soi ? C’est aussi toute la question de Caïn : suis-je le gardien de mon frère.

« Un jour ou l’autre » laisse des traces profondes, d’infinie tristesse, et d’indicible délicatesse. Il se dégage de ce spectacle une grâce, une formidable empathie, et réinsuffle aux normes qui nous sclérosent une respiration mieux maitrisée, plus ample, plus confiante.

Un jour ou l’autre 
Un texte de Linda Mclean
Traduction Blandine Pélissier et Sarah Vermande
mise en scène de Blandine Pélissier
assistante à la mise en scène Behi Djanati Ataï
son Phil Reptil
avec Alain Granier, Éric Herson-Macarel, Christine Pignet, Sarah Vermande

Du 3 au 14 mars 2015
Du mardi au samedi à 21 h

au Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs 75006 Paris
réservations : 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

Be Sociable, Share!

comment closed