À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Un jour nouveau / Birthday party (Over Danse), chorégraphies de Rachid Ouramdane et Angelin Prejlocaj, Chaillot-Théâtre National de la Danse

Un jour nouveau / Birthday party (Over Danse), chorégraphies de Rachid Ouramdane et Angelin Prejlocaj, Chaillot-Théâtre National de la Danse

Fév 18, 2023 | Commentaires fermés sur Un jour nouveau / Birthday party (Over Danse), chorégraphies de Rachid Ouramdane et Angelin Prejlocaj, Chaillot-Théâtre National de la Danse

 

 

© Julien Bengel

 

fff article de Denis Sanglard

« Je suis vieille et je vous encule » chante avec raison Brigitte Fontaine. La vieillesse n’est pas un naufrage mais un recommencement. La danse contemporaine, qui n’échappe pas au formatage, a longtemps occulté le corps vieillissant, le danseur vieux. C’est oublier un peu vite, voir les enterrer, ceux que l’âge n’entravèrent pas dans l’exercice de leur art et qui puisèrent et puisent encore dans cette expérience, car cela en est une, matière à un renouveau où le vécu se substitue à la performance, à la virtuosité. Interroger la mémoire du corps c’est, par exemple, privilégier l’esquisse du mouvement au mouvement lui-même. Par ce qu’elle contient le plus souvent, concentrée là, l’histoire du danseur et de la danse. Le geste, parfois empêché par l’âge, devient alors un signe autrement plus signifiant. Ce n’est pas se limiter mais au contraire jouer de ses limites. Expérimenter, se réinventer, redéfinir les contours de son art. Les strates d’une vies sont autant d’étapes dans la vie d’un danseur, source de métamorphose et de réinvention. La danse n’est pas affaire d’âge mais de recherche artistique, tout comme un chemin personnel. Anna Halprin, Pina Baush, Dominique et Françoise Dupuy, Kazuo Ohno, pour ne citer qu’eux, ont montré cette puissance-là, irréfragable. Plus ou moins récemment Maguy Marin, Mark Tompkins, Jérôme Bel, Eun Me Ahn se sont aussi interrogé sur ces corps défaits par l’âge mais non vaincus, affranchis des regards, des tabous, parce qu’ils permettent d’exprimer autrement la somme, le présent et le futur d’une vie dans sa continuité. Mais ce ne sont que des exceptions dans le large paysage chorégraphique contemporain.

Qu’est ce que l’âge d’un corps ? interrogent Rachid Ouramdane et Angelin Prejlocaj ? Entre l’âge biologique, le ressenti de l’interprète ou le regard qu’on lui porte ? Deux propositions aux antipodes l’une de l’autre.

Un jour Nouveau, chorégraphié par Rachid Ouramdane, ne dure que 15 petites minutes. Il ne se passe pas grand-chose en apparence, rien de spectaculaire. Mais Herma Vos, artiste de music-hall, ancienne meneuse de revue et Darryl E. Woods, danseur aperçu entre-autre chez Sidi-Larbi Cherkaoui, entrent sur scène sur un Chachacha endiablé avant de s’accorder de nouveau sur un pas de deux d’une grande douceur, le temps semblant ici être suspendu. Doucement cependant quelque chose s’effrite, la mémoire semble leur faire défaut. Tu te souviens ? murmure-t-elle. Je ne me souviens pas, lui répond-il. On songe à Ginger et Fred de Fellini, et c’est bouleversant car s’exprime là l’impossible du renoncement de deux artistes malgré l’amnésie. Si la mémoire fait défaut, le corps, lui, ne faillit pas.

Birthday party est une création jubilatoire et provocatrice. Dans le meilleur sens du terme. Ça commence déjà fort où ces vieux danseurs débarquent en mode warrior, costumes compris, prêt à en découdre… Avant que de s’ébrouer, conscient là de leur effort et de l’effet provoqué. Angelin Prejlocaj ne change rien à son style flamboyant mais s’ajoute ici un humour et une distance apporté par ces danseurs qui dansent au réel ce qu’ils furent et ce qu’ils sont encore, tous styles confondus, limites comprises dont ils font un atout. Ironie d’un solo superbement pinabauschien sur une interview de Simone de Beauvoir à propos de son livre La vieillesse qui déjà dénonçait le sort réservé aux séniors, les vieux, « secret honteux et sujet interdit », qui se continue, enchaîné donc en toute logique par un ensemble magistral, réponse cinglante en forme de manifeste et doigt d’honneur en sus, sur La Varsovienne du socialiste polonais Jozef Plawinski, chant de résistance des zouaves polonais. Une chorégraphie que n’aurait pas renié Isadora Duncan, période communiste, par sa forte expressivité qui vaut là plus qu’un discours, superbe pied de nez. Et il s’agit bien ici, le ton est donné, de résistance. Ce que la suite démontre avec brio, cette chorégraphie qui refuse l’invisibilité est d’une intensité folle et d’une beauté visuelle à couper le souffle qui met à nu les corps sans apprêts, ventres plissés et muscles avachis mais toujours merveilleusement toniques. Ce qui est certain c’est que ces corps marqués plus ou moins par l’âge et qu’ils ne cachent nullement ont un niveau d’expressivité qui dépasse la technique pure, aussi fragile soit-il dans son exécution, dans son geste. Surtout il démontre que l’âge ne fait rien à l’affaire et que d’une chorégraphie aussi complexe, même adaptée, qui ne les ménage pas, ils en tirent grand bénéfice, la ramenant à eux en lui insufflant leur histoire, leur vécu, que porte chaque mouvement et leur forte présence. C’est à la fois un défi relevé haut la main et une réponse au culte de l’âgisme qui voudrait les contraindre à la retraite, les sortir de scène, en faire des parias pour reprendre Simone de Beauvoir. Mais au-delà de cette affirmation qu’il est encore possible d’être à leur âge avancé sur un plateau au même titre de n’importe quel artiste, parce qu’un danseur reste sa vie entière un danseur, ils abordent ici de front des sujets encore tabous. La sexualité des vieux, oui, dans un tableau d’une franchise désarmante, des gestes masturbatoires à la sensualités des rapports sexuels, tous genres confondus. C’est formidablement crâne et bienvenue. On est bouleversé, c’est vrai, happé par ceux là qui ne renoncent pas, prouvant de façon éclatante leur légitimité à être là, dans la force de leur talent et de leur âge, en cela exemplaires.

 

© Patrick Cokpit

 

Un jour nouveau, chorégraphie de Rachid Ouramdane

Musique : Jean-Baptiste Julien

Musiques additionnelles : Sam Cooke, Stephen Sondheim

Lumières : Stéphane Graillot

Assistante artistique : Mayalen Otondo

Avec : Darryl E. Woods et Herma Vos

 

Birthday party, chorégraphie d’Angelin Prejlocaj

Lumières : Eric Soyer

Costumes : Eleonora Peronneti

Assistantes répétitrices : Claudia De Smet, Macha Daudel

Musique : 79D

Musiques additionnelles : Anton Bruckner, Józef Plawinski, Paul Williams, Lee Hazlewood, Jean-Sébastien Bach, Maxime Loaëc, Craig Amstrong, Stinky Toys

Avec : Mario Barzaghi, Sabina Cesaroni, Patricia Dedieu, Roberto Maria Macchi, Elli Medeiros, Thierry Parmentier, Marie-Thérèse Priou, Bruce Taylor

 

Du 15 au 23 février à 20h30

Lee jeudi à 19h30, le samedi à 17h, relâche dimanche et lundi

 

Chaillot-Théâtre National de la Danse

1 place du Trocadéro

75116 Paris

 

Réservations : 01 53 65 30 00

www.theatre-chaillot.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed