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Un ennemi du peuple, de Henrik Ibsen, mis en scène par Guillaume Gras, au Théâtre de Belleville

Sep 12, 2020 | Commentaires fermés sur Un ennemi du peuple, de Henrik Ibsen, mis en scène par Guillaume Gras, au Théâtre de Belleville

 

© Vincent Fillon

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

La célèbre pièce d’Ibsen, Un ennemi du peuple, a fait l’objet de mises en scène talentueuses et inventives ou tout du moins marquantes comme ces dernières années celle de Thomas Ostermeier à Avignon en 2012 ou celle de Jean-François Sivadier à l’Odéon en 2019, deux exemples de production à budgets importants permettant des décors et effets ambitieux.

Guillaume Gras qui signe l’adaptation qui se joue au théâtre de Belleville depuis le 8 septembre est à l’opposé, dans une épure absolue, qui ne laisse subsister que le texte d’Ibsen, légèrement adapté et modernisé, servi par des comédiens talentueux.

La force de ce texte indémodable, centré autour d’un scandale écologique et sanitaire qui vient mettre en jeu les rapports élémentaires entre le pouvoir politique et les intérêts économiques et questionner les notions d’intérêt général et de démocratie, n’en est que renforcée. Les spectateurs qui ne connaissent pas la pièce peuvent découvrir sans fards tout le génie du maître dramaturge norvégien et s’étonner qu’il ait déjà près d’un siècle et demi. Et ceux qui l’ont vu jouer un grand nombre de fois savourent une fois de plus ce texte d’une actualité déconcertante, où écologie et éthique viennent affronter les intérêts économiques de la « majorité compacte », celle de la plèbe qui se retourne contre celui que l’on qualifierait aujourd’hui de lanceur d’alerte et qui va subir la « tyrannie de la majorité » (suivant l’expression de Tocqueville). Guillaume Gras va même très loin, plus loin qu’Ibsen dans la réplique finale, laissant entendre que même sa femme aurait pu l’abandonner face à son intransigeance, face à ce « NON » qu’il écrit sur le sol en rassemblant les morceaux de papiers déchirés, symboles de toutes les invectives dont il a été l’objet. C’est une fin qui se tient et mène à son terme l’une des répliques finales et subtile de la pièce : « L’homme le plus fort au monde, c’est l’homme le plus seul. »

Le rythme est rapide. Les changements de scène ne sont marqués que par le passage de la position debout à la position assise des personnages d’Un ennemi du peuple conservés par Guillaume Gras, le metteur en scène ayant choisi de sacrifier ou transformer certains rôles. Il n’y a pas de sortie en coulisses, pas de quatrième mur. Le dispositif est quadri-frontal, les spectateurs sont sur scène et en salle, les comédiens aussi. Cela fonctionne parfaitement dans le joli petit théâtre de Belleville. On en oublierait presque les masques de ceux des spectateurs qui se trouvent davantage sous la lumière des projecteurs.

Quand vient la fameuse scène de la réunion publique (Acte IV du texte d’origine) où l’interactivité avec l’auditoire constitue l’évidence et a été exploitée par la plupart des metteurs en scène, Guillaume Gras l’utilise avec mesure car les spectateurs depuis le début sont immergés, pris à parti. Et cela fonctionne très bien. Quand Peter demande au public de voter la nomination d’Aslaksen comme président de séance, plusieurs mains s’élèvent immédiatement, au moment du vote contre, en plus de celles du couple Stockmann pour s’y opposer. On aimerait voir comme les comédiens s’adapteraient à une levée majoritaire de votes contre parmi le public…

Car ils réussiraient certainement à s’adapter tellement ils sont talentueux et impressionnants de justesse, forts chacun de leurs personnalités et registres différents. La direction d’acteurs a dû être rondement menée pour qu’une telle harmonie se dégage tout au long de la représentation. Les quelques accrochages de mots qui arrivent ici ou là rendent presque encore plus naturel et réaliste ce qui se passe devant nous, tout comme les conversations croisées dans la première scène de l’appartement des Stockmann où l’on ne comprend plus ce qui se dit, effet évidemment délibéré qui permet de souligner mieux encore les personnalités de chacun.

Nicolas Perrochet est impressionnant dans l’évolution de la personnalité de Thomas Stockmann ; très bonhomme au début, il a la puissance des plus grands dans sa radicalisation progressive. Gonzague Van Bervesselès campe un Peter Stockmann hautain, mais humain, c’est-à-dire pas désincarné comme dans d’autres productions qui ont tendance à caricaturer par trop le rôle dans une austérité excessive. Eurialle Livaudais est la rédactrice en chef du Messager du peuple, rôle tenu par un homme dans le texte d’origine ; elle est d’une justesse et sensibilité confondantes. Parfaitement crédibles enfin, Ivan Cori, très drôle dans son rôle falot de représentant des petits bourgeois-propriétaires ; Marie Guignard joue Katrine, l’épouse de Thomas dans un registre très naturel qui la rend très authentique ; Bruno Ouzeau est un Morten Kill (père adoptif de Mme Stockmann) efficace.

En résumé, une adaptation qui n’a de modeste que l’apparence. Une heure trente de vrai théâtre à ne rater sous aucun prétexte.

 

© Vincent Fillon

 

Un ennemi du peuple de Henrik Ibsen

Mise en scène Guillaume Gras

Lumière Grégoire de Lafond

Production Compagnie A Table !

Avec Ivan Cori, Marie Guignard, Eurialle Livaudais, Bruno Ouzeau, Nicolas Perrochet, Gonzague Van Bervesselès

 

Du 8 au 30 septembre 2020

À 19 h les mardis, 21 h 15 les mercredis et jeudis

Durée 1 h 20

 

Théâtre de Belleville

18 passage Pivert

75011 Paris

Réservation 01 48 06 72 34

www.theatredebelleville.com

 

 

 

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