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« Un endroit frais dans la cervelle » mise en scène de Thierry Bordereau, au Théâtre de l’Echangeur

Avr 03, 2015 | Commentaires fermés sur « Un endroit frais dans la cervelle » mise en scène de Thierry Bordereau, au Théâtre de l’Echangeur

ƒƒ article d’Anna Grahm

unendroitfrais-333x500Un sol étincelant. Miroitant comme de l’eau. Au fond du plateau un mur biscornu plongé dans la pénombre, et plus près, à l’avant-scène, une longue caisse en bois. De ce nulle part surréaliste surgit un homme un peu compassé qui s’embrase doucement. Tue-moi répète-t-il tue-moi dans mon élan. Derrière lui des ombres apparaissent ou plutôt leurs os, leurs creux flottent derrière lui, s’agitent, passent et repassent des squelettes radiographiés gigantesques qui le font disparaître. Dans l’espace surdimensionné, un autre petit homme arrive, tout étriqué dans son manteau noir. Il y a quelque chose du rituel qui s’installe. Le bruit feutré du gravier là-bas derrière. Le gémissement d’une corde de guitare électrique. Tout dérape pudiquement. Les personnages se succèdent, pour dire l’amour fort, les mains sur le visage, le merci au mort.

Se dégagent de cette veillée funèbre, des visions hypnotiques, qui se renouvellent sans cesse, qui bousculent les repères. L’espace fluctue au rythme des personnages tâtonnants qui se relaient, qui pour se relier à l’absent, s’accrochent à des détails futiles, un geste, un mot, un objet. Et malgré ces moments rationnels, ces souvenirs, ces photos, et bien que l’on tâche de s’en tenir à l’organisation de la mort du mort, tout glisse, tout devient murmures imperceptibles, tout semble fluide, incertain et absurde.

Christophe Tarkos a inventé une langue obsédante, qui fouille la réalité, qui goutte à goutte trouble la surface du langage commun. Son œuvre ouvre, irrigue, inonde la conscience, approfondit les sens, revivifie l’imagination. Voilà qu’à déployer les répétitions, les associations, elle déclenche les rires, fait pousser des ailes ou serre les gorges et les projette dans une lame de fond. Sa prose est un filet qui remonte des profondeurs de l’inconscient des fragments d’expériences oubliées.

Pour marcher dans ses pas, dans son souffle, l’acteur prête sa tristesse un peu lunaire, sa brumaille un peu folle, son regard étonné, l’acteur Pierre Grammont passe de l’insignifiant à l’esthète, de l’humble à Hercule avec une vitalité et une grâce délicate.

La mise en scène de Thierry Bordereau suspend le temps, lui impulse un flottement, un flux, construit des ponts au-dessus de cet étrange courant, avec le miaulement du guitariste, avec le ballet des ombres, avec un empilement de cagettes débordantes de papier. Il fait se frôler les forces et les fragilités, le passé et le présent, fait de la boîte à sapin une stèle, un écran, une luge, transforme un morceau de plastique en matière vivante. Il éclate la narration, convoque la mythologie, le regard contemplatif d’une vache. Il dépose les silences sur une épure puis les remplit des lignes de fuite du chagrin. Il fait affleurer les émotions, tend à la pensée d’autres échelles, décale, suggère, accompagne les traces de ces petits mondes clos, si dérisoires. Ce spectacle est une célébration, un hommage vibrant au poète qui est parti en 2004.

Un endroit frais dans la cervelle 
D’après le texte Caisses de Christophe Tarkos
Mise en scène de Thierry Bordereau
Musique live Bruno Fleutelot
Installation plastique Philippe Sommerhalter
Avec Pierre Grammont

Du 1er au 10 avril
Du mardi au samedi à 20h30
Samedi 4, dimanche 5 et lundi 6 (relâche)

Théâtre de l’Échangeur
59, avenue du général de Gaulle – 93170 Bagnolet
réservations 01 43 62 71 20
www.lechangeur.org

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