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Un certain penchant pour la cruauté, texte de Muriel Gaudin, mise en scène de Pierre Notte, La Scala Provence / Festival d’Avigno

Juin 30, 2022 | Commentaires fermés sur Un certain penchant pour la cruauté, texte de Muriel Gaudin, mise en scène de Pierre Notte, La Scala Provence / Festival d’Avigno

 

© Philippe de La Croix

ƒƒ article de Denis Sanglard

Une farce cruelle et jubilatoire… Voilà, tout part d’une bonne intention, un geste bienveillant, conforme aux idéaux de gauche, un tantinet humaniste, qui animent Elsa, mère attentive et épouse infidèle. Accueillir un mineur isolé, migrant clandestin venu d’Afrique, lui offrir un refuge est une expérience qui doit profiter à chacun, le dialogue des cultures, on le sait, est toujours fructueux. « Faire sien ce qui n’est pas soi » comme l’écrit Pascal Quignard, est une aventure exaltante. Bienvenu Malik ! Oui, mais très vite la présence de cet adolescent, perdu en son exil mais au demeurant volontaire, désagrège allègrement ce foyer, révélant ses névroses, les mensonges et les contradictions étayant cette famille désaccordée qui se voulait en tout point exemplaire. Les sales et méchants préjugés qu’on croyait ne pas avoir, qu’on attribuait aux autres, n’étaient qu’enfouis et remontent insidieusement à la surface devant cet étranger, pulvérisant la bonne conscience et la bonne volonté d’Elsa qui n’a plus que sa mauvaise foi absolue pour tenter, en vain, de sauver les apparences… C’est une comédie, et donc tout ça qui pourrait finir mal, ne finit pas trop mal, malgré les décombres.

L’écriture de Muriel Gaudin est tranchante et précise, ne s’embarrassant pas de fioriture. Les dialogues crépitent en étincelles, alertes, acides et incisifs qui font mouche et vous épatent par leur efficacité sans ambages. Répliques vachardes, traits fulgurants et aigus comme échappés, qui dénoncent les dessous d’une réalité pas jolie-jolie sous le vernis de la bonne volonté et les intentions louables. C’est d’un humour ravageur, mordant, d’une folie caustique et d’une vérité abrasive assénée l’air de rien, comme ça, mais qui vous claque sévère. On rit, oui, mais jaune citron. C’est âcre, mais avec de-ci, de-là, de drôles d’incises, étranges et beaux apartés, qui tombent tout soudain sans crier gare, offrant une perspective inattendue, poétique, rendant à Malik ce qui lui appartient, son humanité, loin du statut de réfugié auquel Elsa obstinément le contraint. Et chaque personnage est détouré finement dans ses pleins et déliés, sans complaisance aucune. Il n’y a rien de manichéen dans leurs déroutes, leurs échecs. Ils font ce qu’ils peuvent, farauds mais impuissants devant leurs certitudes effondrées. Hormis Malik, chacun, et par ce fiasco humanitaire lamentable est renvoyé à son aveuglement volontaire. Muriel Gaudin ne dénonce pas, n’accuse pas, ne juge pas, elle met juste le doigt sur une simple évidence, l’impossibilité parfois à concilier nos idéaux dès lors qu’ils sont confrontés à la réalité chaotique de nos vies. Le vivre ensemble s’accommode mal parfois de l’individualisme et de l’égoïsme d’une existence faite de faux-semblants, d’un certain penchant pour la cruauté.

Pierre Notte ne pouvait qu’être séduit par cette écriture et ce sujet, que lui-même traitât il y a peu, avec Muriel Gaudin dans la distribution (L’homme qui dormait sous mon lit, au Théâtre du Rond-Point). Sa mise en scène est aussi vive et fluide que l’écriture, ne s’embarrassant pas du superflu, épousant simplement le rythme véloce des dialogues. Une ligne claire et cohérente qui laisse la part belle aux comédiens, dirigés au plus près, compressés dans un espace volontairement riquiqui, modulable en fonction, accentuant de fait ce huis-clos vite explosif, cette promiscuité infernale, où les corps et les sentiments finissent par jouer aux quatre-coins, à cache-tampon. La valse des vêtements – on s’habille, se déshabille, se rhabille – épouse habilement celle du temps qui file. La direction d’acteur est aussi fine que la mise en scène et les comédiens, forts d’une partition pensée visiblement pour eux, font merveille et jubilent. Ils donnent à leur personnages, chamboulés dans leurs certitudes, empêtrés dans leurs contradictions, une belle, une réelle épaisseur, une subtilité qui évite la caricature et le ridicule. C’est une comédie, oui, mais sous ce vernis-là, derrière le rire, il y a ce questionnement lucide et non dénué de fondement en ces temps de replis sur soi, sur notre capacité à accueillir l’autre, une réflexion sur l’altérité qui au sortir de la représentation, vous titille grave.

 

© Philippe de La Croix

 

Un certain penchant pour la cruauté texte de Muriel Gaudin

Mise en scène de Pierre Notte

Avec Fleur Fitoussi, Muriel Gaudin, Benoit Giros, Antoine Kobi, Emmanuel Lemire et Clément Walker-Viry

Musique : Clément Walker-Viry

Lumière : Antonio de Carvalho

Scénographie : François Gauthier-Lafaye

Costumes : Sarah Leterrier

 

Du 7 au 30 juillet 2022 à 13 h 05

Relâche les lundi 11, 18 et 23 juillet

 

 

La Scala Provence

3 rue Porquery Boisserin

84000 Avignon

Réservations 04 65 00 00 90

 

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