© Agathe Poupeney
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Turandot a tout du blockbuster à la Star Wars, un vrai soap opéra. Songez plutôt, 3 énigmes, un vieillard aveugle et une esclave poursuivie par la garde nationale, une princesse belle et glaciale qui trucide ses soupirants, des fantômes du passé qui resurgissent, une malédiction et pour couronner le tout une œuvre inachevée puisque Puccini s’est éteint avant d’avoir pu la conclure. La légende raconte que le maestro Toscanini, le soir de la première en 1926 s’est arrêté en déclarant : » Ici s’arrête l’œuvre laissée inachevée par le maître, car il est mort à cet endroit. » C’est ce qui s’appelle un coup de théâtre, devinez la fin. Trois compositeurs s’y sont collés.
Reprenons dans l’ordre. À Pékin, dans des temps immémoriaux, chaque prétendant à la main de la belle princesse Turandot, doit répondre à trois énigmes ou mourir. Le prince Calaf se cache dans la ville de ses ennemis avec son père Timur, roi déchu de Tartarie, guidé par une jeune esclave, Liù qui l’a suivi dans son exil, par amour pour son fils. Liù et Timur tentent de dissuader Calaf, ébloui par la beauté de Turandot, de se soumettre à son tour à l’épreuve des trois énigmes. Calaf trouve la réponse aux trois questions posées par la cruelle Turandot mais celle-ci supplie son père de la délivrer de ce mariage dont elle ne veut pas. Calaf lui propose un nouveau défi : il accepte de mourir si elle trouve son nom avant l’aube, on ne révèle pas la fin des polars et la nuit porte conseil…
Pas de cerisiers en fleurs, de lampions suspendus au-dessus de grandes tablées, d’oriflammes et de parures dignes des milles et une nuit dans la mise en scène de Robert Wilson, adepte d’une esthétique épurée. De toutes façons le kitchissime opéra célèbre pour son Nessum dorma, mille fois imité, jamais égalé, ne souffre pas l’enflure. La plastique wilsonienne est ici pleinement justifiée qui met en valeur la musique, le lyrisme et l’allégorie visuelle d’une transcendance, « l’art est extatique ou il n’est rien », la devise de Mark Rothko va comme un gant à Robert Wilson. L’humour n’est pourtant pas absent avec le vieux roi Timur à l’allure de druide finlandais, entre John Malkovitch et le père Fouras, Mika Kares au timbre de bronze et à la basse surnaturelle en impose. Les 3 ministres de l’empereur Atoum Ping, Pang et Pong, nous projettent dans un cabaret berlinois à la Bob Fosse durant les 2 premiers actes. Les 3 Arlequins, en maitres de cérémonie aux costumes occidentaux poudrés et fantasques apportent un contrepoint au catafalque wilsonien. Extravagants, culottés et sensuels ils dansent, sautent, dodelinent du chapeau et nous régalent de leurs buffas féeriques.
Les comédiens chanteurs gardent leurs masques de cire jusqu’au bout tels des hologrammes, excepté les solistes auréolés d’une lumière bleutée aux contours indécis. Quand La princesse Turandot apparait au second acte sur un promontoire perché, le rouge sang épouse le noir soutane et sur une balancelle le vieux roi oscille sur son trône, aspiré au royaume des limbes entre ciel et terre. Les mouvements rituels s’inspirent du judo, ce qui n’avantage pas ce pauvre Calaf légèrement ridicule dans son carcan wilsonien de bonze karatéka. On se demande ce que la princesse aux milles prétendants peut bien lui trouver de si séduisant. Un battement de cil de la dame crée l’événement alors imaginez lorsque Calaf esquisse un baise main furtif, là on frôle l’extase.
La beauté hypnotique explose littéralement au dernier acte, dans une parfaite symbiose entre musique, chant et scène sur un plateau transformé en forêt arachnéenne d’arbres enchevêtrés et de bois flottants. Sur des lignes géométriques l’armée des ombres médiévale se déplace en ligne, réitération des mêmes gestes expressionnistes comme une procession sacrée. La Soprane Tamara Wilson déploie un chant subtil sans forcer capable de se déplacer en un instant du grave léger à l’aigu fluté, expressive et royale. Un trait de lumière irradiante déchire le ciel rouge symbolisant l’armure de Turandot qui se rend aux feux de l’amour. Brian Jagde dans le rôle de Calaf est plus monochrome mais donne beaucoup de profondeur à son Nessum dorma.
Le maestro Marco Armilliato conduit ses musiciens avec panache et nous livre une grande intensité musicale, les percussions et les cuivres rythment les défis auxquels Calaf doit se mesurer, un ostinato puissant accompagne chaque coup de gong, violons et trombones soufflent des échos ravelliens lors des duos, on se croirait à Broadway dans une comédie musicale tant la musique fusionne avec les images. Les chœurs de l’opéra Bastille sous la houlette de Ching-Lien Wu sont irréprochables.
Il y a toujours un peu de guimauve chez Puccini, apparemment un grand sentimental mais la transposition superbe de Robert Wilson crée des tableaux inoubliables, fusion parfaite entre l’orchestre et la scène lyrique. Que demandez de plus ?
© Agathe Poupeney
Turandot, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni d’après Carlo Gozzi
Musique : Giacomo Puccini
Mise en scène Robert Wilson
Décors : Robert Wilson et Stéphanie Engeln
Costumes : Jacques Reynaud
Lumières : Robert Wilson et John Torres
Direction musicale : Marco Armilliato ou Michele Spotti
Cheffe de Chœurs : Ching -Lien Wu
Avec : Tamara Wilson, Irène Theorin , Carlo Bosi, Mika Kares, Brian Jagde, Ermonela Jaho, Adriana Gonzalez, Florent Mbia, Maciej Kwasnikowski, Nicholas Jones, Guilhem Worms, Fernando velasquez, Pranvera Lehnert Ciko, Izabella Wnorowska-Pluchart , orchestre et chœurs de l’opéra national de Paris
Durée : 2h 30 avec entracte
Les 13, 17, 22, 26 et 29 novembre à 19h30
Opéra Bastille
place de la Bastille
75011 Paris
Réservation : www.operadeparis.fr
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