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Tristan et Isolde, musique et livret de Richard Wagner, direction musicale Gustavo Dudamel, mise en scène de Peter Sellars, création vidéo de Bill Viola, à l’Opéra-Bastille

Jan 20, 2023 | Commentaires fermés sur Tristan et Isolde, musique et livret de Richard Wagner, direction musicale Gustavo Dudamel, mise en scène de Peter Sellars, création vidéo de Bill Viola, à l’Opéra-Bastille

 

© Vincent Pontet

fff article de Denis Sanglard

 

Tristan et Isolde de Wagner, hymne à la mort et la transcendance, signe une partition révolutionnaire, « une symphonie de mot », où la musique inclut le drame en elle-même. Poème lyrique composé entre 1854 et 1857, marqué par un long prélude d’une somptuosité insensé, d’une sensualité exacerbée, tendue vers une résolution amoureuse toujours retardée. La mise en scène de Peter Sellars intimement liée à la création vidéo de Bill Viola, crée en 2005, est désormais un classique, dûment justifié. Dans une lumière entre chien et loup, tout est obscurité sur le plateau dépouillé, les chanteurs de noirs vêtus et sans ostentation, sont affranchis de toute théâtralité contrainte. Un jeu des plus épuré, minimaliste, volontairement hiératique parfois, on songe aux cérémonies du théâtre nô, libérant la toute-puissance expressive et puissamment charnelle du chant. Suspendu comme un retable, un écran où les vidéos de Bill Viola, d’une grande splendeur visuelle, ne sont pas simples illustrations mais évocations sensibles de sensations infimes d’une nature traversée, comme autant d’émotions subtilement éprouvées, où les éléments naturels, particulièrement l’eau, inscrivent nos amants dans un cadre hautement symbolique, participant aussi d’un rituel sacrificiel. C’est aussi inscrire ces deux amants dans une nature dont ils sont, force comprise, constitutifs, en fusion totale. Les vidéos accordées au tempo de la musique qui ne cesse de s’étirer jusqu’au point de rupture, comme une jouissance que l’on diffère, la temporalité de l’œuvre s’en trouve révélée dans sa justesse dramatique. Peter Sellars et Bill Viola réalisent sans nul doute ici le graal d’une œuvre d’art total que la direction musicale de Gustavo Dudamel à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris parachève. Maîtrise absolue d’une partition complexe et rude qu’il conduit sans faille et dont il révèle les infinis et subtiles nuances, exprimant cette passion absolue et funèbre. Nous sommes au réel absorbés par cette musique, Peter Sellars n’hésitant pas à mettre les chœurs dans le public, parfois les chanteurs solistes eux-mêmes, plus loin le cor anglais ou le hautbois. Une expérience immersive qui met « en relief » cette mise en scène et la partition elle-même, comme projetées, dépliées jusque dans la salle.

Là où bât blesse sans doute, est l’interprétation d’Isolde par Mary Elizabeth Williams. Un jeu théâtral quelque peu forcé et démonstratif qu’elle tentait de maîtriser pour se plier aux injonctions minutieuses de cette mise en scène austère et minimaliste, sans toutefois y parvenir pleinement. Mais surtout une voix à qui il manquait sensualité et moelleux, des aigus particulièrement acides, d’une grande raideur et comme forcé. Et la liebestodt, acmé du chant d’Isole, manquait, hélas, de profondeur et d’intériorité, accusant sans doute la fatigue. Ces réserves ne justifiaient pourtant pas les huées entendues lors de la première. Michael Weinius campait un Tristan vocalement impeccable. Voix d’une grande ampleur et clarté qui prend toute sa mesure, après s’être quelque peu préservé, dans le troisième acte particulièrement ardu. Seulement, son Tristan manque quelque peu de caractère, ce n’est pas qu’il soit neutre dans le rôle, non, mais il manque au personnage une personnalité affirmée pour marquer de son empreinte ce rôle exigeant. Éric Owens, dont la voix de basse exceptionnelle touche au plus profond, est un roi Marke dont le monologue du troisième acte, son pardon et la révélation de son amour pour Tristan, bouleverse totalement par sa profonde et fragile humanité blessée. De même la mezzo Okka von der Damerau, Brangäne, allie puissance et expressivité d’une voix ample et ronde, et offre à son personnage une remarquable profondeur dramatique. Ryan Speedo Green, baryton-basse, l’expressivité de son chant, la sureté et la beauté sans aspérité de sa voix, marque chacune de ses apparitions. C’est une mise en scène captivante en ce qu’elle révèle la beauté et le sens profond d’une partition en affirmant haut la puissance du chant qu’elle met en avant, débarrassé de tout artifice théâtral superflu et de discours abscons, où les chanteurs, ainsi délestés du poids d’une mise en scène qui souvent les contraint, peuvent exprimer la profondeur de leur art ainsi mis à nu, à vif, et l’expression des sentiments les plus universels que révèle ici la voix.

 

© Vincent Pontet

 

Tristan et Isolde, musique et livret de Richard Wagner

Direction musicale : Gustavo Dudamel

Mise en scène : Peter Sellars

Création vidéo : Bill Viola

Costumes : Martin Pakledinaz

Lumières : James F. Ingalls

Opérateur vidéo : Alex Maclinnis

Chef des chœurs : Alessandro di Stefano

Orchestre et Cœur de l’Opéra de paris

Avec Michael Weinius, Mary Elizabeth Williams, Éric Owens, Okka von der Damerau, Ryan Speedo Green, Neal Cooper, Maciej Kwašnikowski, Tomasz Kumiega

17, 20, 23, 26, 29 janvier 2023

1er, 4 février 2023

 

Opéra Bastille

Place de la Bastille

72012 Paris

Réservations : www.operadeparis.fr

 

 

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