Critiques // « Trahisons » d’Harold Pinter mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia au Vieux-Colombier

« Trahisons » d’Harold Pinter mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia au Vieux-Colombier

Sep 25, 2014 | Commentaires fermés sur « Trahisons » d’Harold Pinter mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia au Vieux-Colombier

ƒƒ article de Denis Sanglard

trahisons_c_cosimo_mirco_magliocca_nd36427_2

© Cosimo Mirco Magliocca / collection Comédie-Française

Une histoire d’adultère. Le triangle classique : les deux amants, le mari. Et l’amant meilleur ami du mari. Sauf que, avec Pinter, c’est un peu plus compliqué et bien plus retors et subtil qu’il n’y parait. Autopsie d’une relation à trois certes mais surtout analyse des trahisons indispensables pour rester, magnifique paradoxe, fidèle. Car cet adultère n’est pas le centre de la pièce. Ce qui est en jeu est le lien étroit qui unit les trois personnages, leurs relations ambivalentes que chaque trahison révèle un peu plus. Relations complexes que Pinter, caustique comme à son habitude, dissèque avec minutie. Pinter démontre combien le champ de l’intime, de la sexualité, est toujours flottant, trouble. Emma, Jerry et Robert sont comme tenus par ces trahisons qui les enferment volontairement dans une relation qui semble indispensable pour chacun des trois. Ni bourreau ni victime, les deux à la fois. Il ne semble pas y avoir de bonheur sans souffrance cachée. Pinter ne livre pourtant rien des ambivalences du cœur. Ou du moins ce qui est donné d’entrevoir, se situe dans un entre-deux fragile où justement tout semble encore possible, prêt à basculer. Une ouverture étroite dans laquelle s’engouffrent les spectateurs bientôt dupés par Pinter qui habilement procède à rebours. En commençant par la fin de cette relation, la rupture, il ne donne aucune prise au spectateur qui de scènes en scènes est amené à reconsidérer cet adultère et le lien qui uni les trois personnages au regard de la précédente sans être aucunement certain de la vérité exprimée.

La mise en scène sobre et élégante, toute en fluidité, de Frédéric Bélier-Garcia distille peu à peu le malaise. Ce malaise qui envahit la relation des trois personnages. Une mise en scène faite d’ellipse et de silence, parfois étirée, jusqu’à l’implosion muette de gestes amorcés qui bousculent soudain ce qui semblait l’évidence, trahissent une réponse donnée et qui sans retourner la situation lui donne un éclairage soudain inattendu, une profondeur sous l’apparente futilité d’un bavardage faussement anodin. Car si l’on parle beaucoup, et de façon toujours concise, précise, on ne dévoile rien. La langue, pour ces personnages rompus à celle-ci –ils sont éditeurs- est une arme redoutable. Frédéric Bélier-Garcia explore les failles des personnages disséquant leurs actes manqués, leurs non-dits mais procède intelligemment en creux. Sa mise en scène est un magnifique trompe-l’œil. Une anamorphose où tout semble changer selon la perspective adoptée. Jouant faussement, dans une épure élégante de la situation énoncée, il émaille sa mise en scène de signes discrets mais élude volontairement toute explication. Il laisse ainsi ouvert à toute interprétation, se refuse à toute affirmation hors celle d’une vérité impossible ou différée. Épousant en quelque sorte les méandres des personnages dont les propos ou les actions oscillent, fluctuent d’une scène à l’autre ou se contredisent. Frédéric Bélier-Garcia offre ainsi plusieurs niveaux de lecture. Comme soudain au détour d’un jeu innocent de balle qui suit une conversation presque banale c’est toute l’ambiguïté d’une amitié masculine qui éclate… Ce qu’il met à nu, en explorant l’indicible qui lie ce trio, de façon nette et délicate, c’est toute la complexité des relations entre Jerry, Robert et Emma, des enjeux qui dépasse le simple adultère. Et combien tout cela participe du malentendu et de l’aveuglement obstiné. Léonie Simaga, Denis Podalydès et Laurent Stocker sont remarquables de sobriété dans ce trio en souffrance, semblant porter chacun quelque chose d’inexprimable, une certaine incompréhension face à une situation qui leur échappe bientôt et qu’ils tentent de maîtriser au risque de la trahison. Ils sont d’une ambiguïté fragile. Toujours au bord d’un aveu qui ne vient pas. Lucides et comme en dehors d’eux-mêmes.

 

Trahisons
D’Harold Pinter
Mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia
Avec Denis Podalydès, Laurent Stocker, Christian Gonon, Léonie Simaga
Collaboration artistique Garolone Gonce
Décor Jacques Gabel
Lumières Roberto Venturi
Costumes Catherine Leterrier et Sarah Leterrier
Son Bernard Vallery

Théâtre du Vieux-Colombier
Du 17 septembre au 26 octobre 2014
Mardi à 19h, mercredi au samedi à 20h, dimanche 16h
Relâche lundi
Réservations 01 44 39 87 00/01
www.comedie-francaise.fr

Be Sociable, Share!

comment closed