À l'affiche, Critiques // Tout Dostoïevski, conception Benoît Lambert et Emmanuel Vérité, Théâtre de la Cité Internationale

Tout Dostoïevski, conception Benoît Lambert et Emmanuel Vérité, Théâtre de la Cité Internationale

Avr 05, 2019 | Commentaires fermés sur Tout Dostoïevski, conception Benoît Lambert et Emmanuel Vérité, Théâtre de la Cité Internationale

© Gilles Vidal

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Tout Dostoïevski, ou presque. Presque, parce que dans ce presque se bousculent de formidables et merveilleuses digressions, entre considérations personnelles, vodka, et commentaires sur l’œuvre et l’auteur. Inévitablement en une heure, le pari est tout simplement impossible. Mais qu’importe, Charles Courtois Pasteur, étrange personnage entre le bateleur de marché avec son micro en sautoir et le conteur – formidable – plus connu sous le nom de Charlie, avatar d’Emmanuel Vérité, nous embarque quasi illico dans l’œuvre, rend hommage à un monument de la littérature russe qu’il visite de façon unique, tout à la fois notre guide et acteur. Oh, avec pas grand-chose, quelques anecdotes, quelques bouchons sculptés, c’est sa passion du moment, et des références surprenantes et d’une évidence qu’on se prend à se dire pourquoi n’y avons-nous pas pensé avant. Prenons Colombo, l’inspecteur à l’inusable usé imper mastic, au cigare mâchouillé. Comparons-le à Porphiri Petrovich, l’enquêteur chargé de l’enquête du meurtre de l’usurière par Raskolnikov. Eh bien Crime et Châtiment c’est la même chose, le même principe qu’un des très nombreux épisodes de cette série policière. Tout y est. On connaît l’assassin, on attend juste qu’il tombe dans les rets d’un inspecteur retors que l’on ne soupçonnerait pas d’une once d’intelligence. Voilà et si après ça, résumé comme ça, on ne se précipite pas dans le roman, c’est à n’y rien comprendre. Charlie aura raté son pari. Lequel n’hésite pas à reconstituer la scène du crime, un vrai polar on vous dit, hache en main et spectatrice sacrifiée sur le plateau, pour un court instant usurière et victime. Alors c’est vrai Dostoïevski fait peur, Charlie en convient. D’ailleurs il met l’ambiance d’emblée, deux chandelles magiques et quelques fumigènes, voilà pour l’atmosphère. Et c’est beaucoup de pages, des noms et surnoms impossibles, des intrigues tortueuses, des crimes, des parricides, de la méchanceté, des remords, de la culpabilité, de la folie. La Russie moderne et la métaphysique, le libre arbitre, Dieu et tout ça… Mais cette peur, un peu plus d’une heure plus tard, s’est métamorphosé, magique Charlie, en un sentiment de bonheur de soudain comprendre ou redécouvrir une œuvre tout à la fois terrifiante et bouleversante. Pas pour rien que commençant par Crime et Châtiment – déjà le titre aurait dû nous mettre la puce à l’oreille – il termine en majesté et avec intelligence par Les frères Karamazov. Très utile là les petits bouchons pour ne pas se perdre dans la fratrie. Juste la fin du roman, qu’il raconte, l’enterrement du petit Illouchia et l’allocution d’Alexeï, le petit dernier des quatre, près de la pierre. Et là Charlie devient un conteur magnifique. Qui vous donne le frisson et vous prend à revers avec une simplicité, sans effet aucun, rien d’autre que la lumière qui décline. Ah ! la belle farce, Charlie nous a bien eu qui nous la coupe net ! Et on se dit oui, rien que le choix de ses deux romans, pas de temps pour les autres et de toute façon inutile tant ces deux-là, emblématiques,  éclairent sans doute l’ensemble de l’œuvre, c’est tout Dostoïevski qui vous tombe dessus, de tout son poids, sans crier gare. On devrait se méfier de Charlie, qui ne paye pas de mine c’est vrai, un peu comme Colombo, mais véritable auguste avec sa charge tragique et cette part d’humanité, la seule sans doute à pouvoir vous guider dans les méandres de cette œuvre monstre avec trois fois rien, quelques petits bouchons, un peu de vodka et une hache. Charlie, Dostoïevski même combat ? Imaginons Dostoïevski en chemise hawaïenne…

 

© Gilles Vidal

 

Tout Dostoïevski, conception Benoît Lambert et Emmanuel Vérité

Avec Emmanuel Vérité

Costume Marie LaRocca

 

Du 1er au 19 avril 20189

Lundi, mardi, vendredi à 20h

Jeudi, samedi à 19h

Relâche mercredi et dimanche

 

 

Théâtre de la Cité Internationale

17bd Jourdan

75014 Paris

Réservations 01 43 13 50 50

www.theatredelacite.com

 

 

 

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