ƒƒƒ article de Denis Sanglard.
Voilà, il arrive parfois au théâtre que le temps se fige. Quelque chose advient qui tient de la grâce ténue et vous stupéfie, vous embue. Pourtant rien d’extraordinaire mais dans ce rien tout le miracle du théâtre. Timeloss de l’iranien Amir Reza Koohestani est une parenthèse où l’on bascule dans ce que le théâtre a de plus profond, d’indispensable, de nécessaire, d’urgent. Au départ il y eu Dance on Glasses, pièce où deux amants, chacun au bout d’une longue table, unique décor, se séparaient. Ces deux amants nous les retrouvons aujourd’hui. Mais ce qui relevait de la fiction dans Dance on Glasses est devenu réalité pour les deux comédiens qui l’interprétaient. Ils s’aimaient alors puis se sont déchirés et séparés. Timeloss douze ans plus tard les réunit de nouveau. Ils doivent postsynchroniser Dance on Glasses. Les voilà donc, chacun à une table, elle devant et lui derrière, qui ne se regardent pas. Elle surtout, qui refuse de le voir, lui qui implore. Comme un refus de retourner en arrière, d’affronter le passé. Les yeux rivés obstinément sur le DVD de Dance on Glasses. Et tout implose. Parce que ce DVD précisément, qui défile au-dessus d’eux, et le texte qu’ils connaissent encore, ne cesse de les tirer en arrière malgré le déni. Mais la fascination exercée par cette création c’est de juxtaposer jusqu’à la friction le texte de fiction à la réalité présente. Un lent mouvement de balancier. Un glissement progressif s’opère qui voit la situation présente rejoindre la fiction d’hier jusqu’à ne plus faire la distinction. Mais lucides, loin d’être dupes, ils n’ignorent pas que tout sonne faux comme leur voix d’aujourd’hui qui se raccordent difficilement avec les images d’hier. Le présent avec le dialogue passé. Il n’y aura qu’à la fin qu’ils se regarderont et c’est, pour nous, un choc tant l’image, espérée pourtant, révèle une réalité insoupçonnée et sans doute fait tout basculer. La mise en scène est dépouillée, sans effet, d’une exemplaire sobriété et d’une grande densité. Les deux comédiens, derrière leur table, les yeux obstinément tournés vers la salle, sont tout simplement et sans effet aucun formidables. Lui de souffrance, d’attente, elle blessée, têtue. Qu’ils répètent leur texte ou s’écharpent sans jamais élever le ton, qu’ils jouent la fiction ou se jouent d’elle, ils sont troublants dans ce jeu qui les voient avec ambiguïté et jusqu’à la confusion s’emparer de leur rôle passé pour explorer leur présent. De jouer jusqu’au vertige des mises en abyme et perspectives entre réalité et fiction d’une création passée…
Timeloss,
texte, mise en scène et scénographie d’Amir Reza Koohestani
En persan surtitré
Avec sur scène, Hassan Madjooni et Mahin Sadri
Et sur les vidéos, Abed Aabest et Behdokht Valian
Assistant à la mise en scène, Mohammad Reza Hosseinzadeh
Musique et création son, Pouya Pouramin
Vidéo et direction technique, Davoud Sadri
Costumes, Negar Nemati
Traduction française et adaptation surtitrage, Massoumeh Lahidji
Opératrice surtitres et assistant plateau, Negar Nobakht Foghani
Extraits de Dance on Glasses : texte et mise en scène et scénographie Amir Reza Koohestani. Avec Sharareh Mansour Abadi et Ali Moini. Chorégraphie Ehsan Hemat. Musique Thousand Years de StingThéâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Du 24 au 30 novembre 2014 à 21h, le dimanche à 17h
Relâche le 27 novembre
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
Festival d’Automne à Paris
01 53 45 17 17
www.festival-automne.comet le 10 et 11 décembre au Manège à Maubeuge
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