Agenda, Evènements, Festivals // Thyeste, de Sénèque, mise en scène de Thomas Jolly, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon.

Thyeste, de Sénèque, mise en scène de Thomas Jolly, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon.

Juil 10, 2018 | Commentaires fermés sur Thyeste, de Sénèque, mise en scène de Thomas Jolly, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon.

© Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Pour avoir voulu usurper le trône d’Atrée, séduit sa femme et volé le bélier d’or, Thyeste est exilé. Mais cela ne suffit pas à Atrée, le frère jumeau outragé. Rappelant son frère pour lui offrir la moitié de son royaume, il s’empare de ses trois fils et lui donne à manger dans un banquet. Le chaos devant ce crime s’empare des hommes. Thomas Jolly dans la Cour d’honneur du Palais des Papes embrasse et résume l’histoire du théâtre qui est aussi celle de l’humanité. Thyeste est un festin tragique et funeste que le metteur en scène déploie entre cérémonie archaïque, barbare, et sophistication high-tech. On attendait de la démesure, il y en a, mais Thomas Jolly reste, malgré tout l’apparat qu’oblige cette cour, d’une belle et relative sobriété menacée par l’outrance, la sienne et celle des dieux. Et c’est dans ces moments où n’existe rien d’autre que le texte et le corps de l’acteur que subitement tout est suspendu et se cristallise. Ce qui est dit soudain, dans le dénuement absolu, atteint une puissance d’action inouïe. A ce titre le long récit du messager (impressionnante Lamya Regragui à l’émotion fleur de peau) vous glace d’effroi. Pas d’effet autre qu’une cour qui s’efface au long du récit, entrant dans la pénombre, l’obscurité aveugle, à l’instant où recule la course du soleil devant l’acte irréversible perpétré par Atrée. Là sans doute touche-t-on à l’origine du théâtre, une voix nue, seule qui s’élève et conte aux hommes, parole vivante, habitée pour un public bouleversé, soudain renversé… Avant que de voir surgir un chœur d’enfant, l’avenir menacé, qui métamorphose ce récit en un oratorio déchirant pour les damnés que nous sommes devenus. Parce que le centre névralgique de cette tragédie ce sont eux. Une enfance sacrifiée à la haine des adultes. Heureuse idée également d’un coryphée (Emeline Frémont, énergique) qui slame avec force et nuance cette partition poétique, noire et furieuse du texte de Sénèque. (Soulignons ici la traduction puissante et explosive de Florence Dupont que le slam exacerbe). C’est acter de plain-pied et résolument la tragédie dans le monde contemporain. Dire l’origine du chaos et ses conséquences tragique aujourd’hui, cette haine furieuse qui poursuit les hommes. Et c’est entre ces deux pôles, récitatif et action, que pendule cette tragédie et cette mise en scène théâtrale en diable, sobre et spectaculaire tout à la fois. « Il me faut de la démesure » clame Atrée. Thomas Jolly répond à cette injonction mais le spectaculaire, cette démesure est étrangères aux hommes qui en sont les témoins impuissants et les victimes. Non dans l’action innommable commise qui se love dans le verbe des hommes  mais dans celle des dieux qui maudissent. Le palais bruisse et craque, tonne, vibre, s’embrase, s’envolent des milliers de papillons noirs portant la peste. Heureux hasard d’un mistral qui jouait avec la scénographie et ne cessait de faire voler dans le public, jusqu’à la fin, ces papillons augurant le malheur s’engouffrant dans le palais, signant la fin de l’humanité devant un acte défiant les dieux mêmes. Thomas Jolly use des artifices du théâtre, en joue, les souligne, les surligne. C’est parfois trop mais il y a une générosité sincère à faire théâtre absolument et par tous les moyens offerts. Mais dans cette cour qui appelle à la démesure, sans être sage, Thomas Jolly semble s’être discipliné et contraint. Et par cette contrainte même, cette épure toute relative, oser le texte nu. On sait combien il aime la théâtralité jusqu’à la dénoncer volontairement. Là il plonge aux sources antiques du théâtre qu’il confronte et associe avec la théâtralité contemporaine. Parce que la mission du théâtre, sacré ou profane, reste la même jusque dans l’irreprésentable, dire le monde. La scénographie et la mise en scène portent ces deux empreintes et oscillent de l’une à l’autre avant d’être au banquet définitivement nouées par cet acte barbare et cannibale. Le monde des dieux est un monde primitif, archaïque. L’apparition de Tantale, (Éric Challier, voix de rocaille), surgit des enfers,  et les imprécations de la Furie appartiennent à ce monde ancien. Une Furie sortie d’un monde barbare, une barbarie qu’elle jette en pâture aux hommes qu’entredéchirés ils dévorent. Atrée cédant au crime fratricide, « même si c’est un mauvais frère », attente à l’humanité et ce basculement irréversible acte notre monde contemporain. Atrée sous les coups de boutoir prophétique de la Furie bascule et devient le monstre qui signe notre catastrophe. C’est ça que Thomas Jolly finement analyse et met en scène, cette chute irréversible, implacable et maudite que clôt un banquet mortuaire qui ne résout rien, jamais, et nous laisse pantois, abasourdi au bord de l’écœurement. Et pourtant il n’y a rien de démonstratif, la table est vide. Seule la parole est hachée, mastiquée, vomie. Thomas Jolly se coule encore une fois avec aisance dans ce costume impossible du monstre. Vêtu de jaune, couleur de la puissance, de la trahison et de la folie et marqué du sceau de la peste qui s’abat, quelques papillons noirs attachés sur l’épaule, il empoigne la scène et sème dans le public le trouble et le malaise. A l’exception d’Annie Mercier, La Furie, marmoréenne, la jeunesse des comédiens fouette cette tragédie, lui donne une impulsion vigoureuse et fait tomber le carcan « classique » pour une lecture aigüe, dynamique, résolument contemporaine et universelle. Au salut, épars, voletaient encore des papillons noirs…

 

Thyeste de Sénèque

Traduction  Florence Dupont-édition Acte Sud

Mise en scène de Thomas Jolly

Avec  Damien Avice, Eric Challier, Emeline Frémont, Thomas Jolly, Annie Mercier, Charlinne Porronne, Lamya Regragui

Les enfants  Alliot Appel, Malcom Namgyal, Tiago Lucet-Remy, Maxence Herman, Leo Cisweski

 

La maîtrise populaire de l’Opéra-Comique et la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon

Violoncelle  Charlotte Patel

Alto  Caroline pauvert

Violons  Emma Lee et valentin Marinelli

Cheffe de chœur  Sarah Koné

Collaboration artistique  Alexandre Dain

Assistanat à la mise en scène et dramaturgie  Samy Zerrouky

Scénographie  Thomas Jolly, Christelle Lefèbvre

Musique  Clément Miguet

Ingénieur  Son Olivier Renet

Lumières  Philippe Berthomé, Antoine Travers

Costumes  Sylvette Desquest assistée de Magali Perrin-Toinin

Maquillage  Elody Mansuy

Design Tatouage  Mikki Bold

Vidéo  Julien Condemine, Fanny Gauthier

Direction technique  Pierre-Yves Chouin

 

Du 6 au 15 juillet 2018 à 21h30

 

Cour d’Honneur du Palais des Papes

Festival d’Avignon

Réservations 04 90 14 14 14

Festival-avignon.com

 

Tournée

27 et 28 septembre 2018, Théâtre de l’Archipel, Scène nationale de Perpignan

16 au 19 octobre 2018, Comédie de Saint Etienne, Centre dramatique national

6 au 8 novembre 2018, Le Quai, Angers

14 au 20 novembre 2018, Le Grand Théâtre de Loire Atlantique, Nantes

26 novembre au 1er décembre 2018, La Villette, Paris

5 au 15 décembre 2018, Théâtre national de Strasbourg

19 au 20 décembre 2018, Théâtre des Salins, Martigues

25 et 26 janvier 2019, Palais des Beaux-Arts, Charleroi (Belgique)

31 janvier et 1er février 2019, La Coursive, Scène Nationale de la Rochelle

12 au 16 février 2019, Les Célestins, Théâtre de Lyon

6 au 8 mars 2019, Théâtre de Caen

15 et 16 mars 2019, Anthéa, Théâtre d’Antibes

22 et 23 mars 2019, Le Liberté, Scène Nationale de Toulon

28 au 30 mars 2019, La Criée, Théâtre National de Marseille

3 et 4 avril 2019, Théâtre Firmin Gémier La Piscine, Châtenay-Malabry

24 et 28 avril 2019, Théâtre du Nord, Lille

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